Ce disque commence par une corne de brume. sorte de petit fil tout blanc qui résonne dans un espace laiteux aux dimensions indéfinies. Tout petit, on sent qu’il s’étoffe, devient plus râpeux, se pare de nuances, commence à onduler, onduler, il devient tranchant un rasoir, un rasoir vibrant, un rasoir électrique, attention à ta tête, attention à tes fesses, non si elles sont poilues ça peut être pas mal, mais en tout cas ressens ces vibrations et STOP. Ça s’échappe au loin.
Ensuite une petite bestiole qui monte qui monte vers le soleil. plein de petites pattes, chacune a sa propre note. Le Soleil rouge droit devant et tout autour le monde, les montagnes, la pierre qui fait rebondir les sons et les mélange en une crème onctueuse.
Au fait ce jeune homme joue du saxophone. J’entends le cliquetis des clés. Il souffle en continu comme Colin Stetson, et il est queer et c’est une soirée au Berghain qui lui a inspiré cette musique qui parle de lâcher prise ou un truc comme ça.
Je suis dans une église, j’écoute un concert de sax solo. Le lâcher prise oui. Je me donne au soleil. Sans retenue je me donne au Soleil rouge. Il me dit quoi faire : reste là, respire, profite de la crème de son qui arrive à tes oreilles, profite de la lumière teintée qui traverse tous ces beaux vitraux.
Le saxophone peut aussi se faire serpent. Il rampe, il te charme, il ondule, il laisse une marque sur le sable de bruit blanc. Tu sens des petites fuites d’air à la jointure entre les lèvres et la hanche. Plus d’autres bruits, ça en fait du monde mine de rien. L’air qui entre par les narines projette aussi des ondes de crème sableuse dans l’espace. Les harmoniques de l’instrument sont à géométrie variable, parfois on est proche de la sinusoïde, parfois c’est comme un peigne qui vient te caresser les cils.
Et encore tout un tas d’autres sons que je n’identifie pas, à la marge du saxophone. Beau travail de placement des micros, c’est sûr. Je me demande si la réverbération est naturelle. J’ai un doute, j’en sais rien en fait. C’est pas grave, parce que ça fait de jolis arcs en ciel. Juste un saxophone dans une salle immense. C’est cool de n’avoir besoin de rien d’autre pour faire de la belle musique. Et puis ça change d’Anthony Braxton.
Oula moula. Le morceau 6 est bien répétitif et il se sert des bruits externes du saxophone pour la rythmique. L’équalisation aussi est très travaillée. C’est un joli travail de sculpture, et ça marche. On dirait que le sax s’est transformé en machine à coudre. Il y a aussi du chant mais je crois que c’est un re recording parce que souffler et chanter en même temps ça doit pas être évident quand même à moins qu’il s’agisse d’un INVITÉ. ? Mystère mystère. Le motif est répété encore et encore et puis à un moment il dévie change de tonalité et finit par se stabiliser quelques tons en dessous je crois et donc l’énergie libérée est partie se perdre dans l’espace. Bonne idée.
Morceau suivant = HIGH et c’est encore un petit motif mais joué bien plus vite cette fois, plus simple aussi, c’est une pulsation bien disciplinée mais qui laisse échapper une note rebelle de temps en temps, puis de plus en plus souvent avant de se métamorphoser, ou plutôt de muter, et cette frénésie me rappelle des choses infiniment petites comme des paquets de photons, ou le mouvement des électrons autour d’un noyau, ou l’agitation des atomes lorsqu’il sont chauffés, et puis toujours le bruit des clés qu’on entend, avec la régularité d’un métronome lancé à fond la caisse.
Ensuite il y a ce morceau appelé EXIT, tout aussi rapide mais un peu plus charnu et velouté comme une jolie paire de fesses. L’instrument passe de la sinusoïde au rasoir électrique et retour et retour et retour et il y a encore du chant et cette fois non mais c’est dur de penser à autre chose que cette cathédrale avec de jolis vitraux et ce saxophoniste gay debout sur l’autel, l’instrument dirigé vers ces jolis vitraux, et le Ciel derrière.
Donc ce disque trace un chemin direct de ton cul à Dieu en 28 minutes. Merci c’est tout à pluss.