Petit sifflement strident inoffensif que tu crois. Survolé par un vaisseau spatial. On est dans x files ou dans un salon parisien ou autre, en 1973. A gauche un petit clic régulier, au début je croyais que c’était un craquement extérieur à la musique, mais non pas du tout.
C’est marrant parce que réflexion faite, un chat intelligent ferait probablement ce genre de musique qui mélange infra ronron et couinement strident régulier. Les chats aiment les infraronrons.
Ok petite précision : il y a un seul morceau, il dure 1h et 7 minutes. C’est un lac ronron de une heure et sept minutes.
Un lac calme à première vue mais approche toi tu verras l’eau onduler micro + la marée.
A 4 minutes à peu près un autre OVNI quitte l’hyper espace pour se planter juste à côté de l’autre. Autant te dire que ça ronronne de plus belle. La souris est toujours là. Elle n’est pas vraiment une souris. C’est juste pour te donner une idée. En réalité, c’est juste la résultante d’un mini frottement quelque part dans la machinerie de ces vaisseaux géants. Ou un sifflement, plutôt.
Il y a des petits déphasages. Le sifflement est constant par contre le psycho ronron frotte c’est normal il y en a plusieurs ils ne sont pas tous identiques, il faut dire qu’on parle là d’une technologie des années 70. Et puis Eliane essaie de te raconter quelque chose, tu dois être attentif aux petites subtilités. Par exemple là à 9 minutes, petite agression aigue désagréable. Pourquoi ? Est ce que c’était voulu d’ailleurs ? Je sais pas. Honnêtement, le son est moins agréable que dans mes souvenirs. Et puis il y a un sacré déséquilibre entre le canal gauche et le canal droit, sur des enceintes c’est ok mais ok casque, ouille ouille ouille. C’est comme si mes deux hémisphères étaient découpés séparés de force alors que j’ai besoin des 2 ! Quelle violence ! Ce disque est violent. Il n’a pas l’air comme ça, mais c’est brutal. Il faut de la force mentale pour l’endurer d’une traite.
Toujours à gauche, un clic. J’aurais bien aimé qu’il n’y ait pas de clic.
Ecouter un disque d’Eliane Radigue, c’est une expérience pas ordinaire. Ça demande de la volonté, de la concentration, et il faut savoir écouter son corps, parce que je crois que l’essentiel se joue à la jonction entre l’esprit et le corps. C’est de la musique subliminale, elle ne s’adresse pas à ton Moi. Ton moi n’est pas capable de comprendre, il est aveugle, et bête. Il n’entend qu’un vulgaire sifflement, une basse ronron, un truc statique sans intérêt. Sauf que dans ta tête, il y a plusieurs strates, n’est-ce pas. Ton mental, c’est la partie émergée de l’iceberg. Tu es bien plus que ton mental. Ton âme est autrement plus sensible, elle détecte des signaux subtils, mais les messages qu’elle te renvoie sont eux mêmes très subtils. Tu dois apprendre à les sentir. Subtil, c’est le maître mot. Une personne est éveillée quand elle sait observer les phénomènes subtils qui la parcourent. Ce disque est un bon entrainement. Assieds toi, la colonne vertébrale bien droite, ferme les yeux, laisse ces vibrations t’envahir. Ne pense pas trop. Observe comment le turbo ronron agit sur ton organisme. Ton cerveau et ta peau et tes organes sont massés par les enceintes. Il s’agit bien d’une action physique avant tout. C’est pas une Idée qui te fait du bien ici. C’est pas la 9e symphonie de Beethoven ou les variations Goldberg. Ici la musique est comme une masseuse Thaïlandaise qui aurait appris à te papouiller le corps astral.
Je me demande à quoi sert ce sifflement strident. Ce craquement à gauche. Ce déséquilibre spatial. Je sais qu’en concert, Eliane aime disposer ses sources sonores en X pour que tout l’espace soit sonorisé de la même manière. Il me faudrait peut être un autre jeu d’enceinte. Peut-être qu’il n’est pas censé y avoir de gauche et de droite. Peut-être que je m’y prends mal.
Ce morceau prend vraiment son temps. Il faut savoir apprécier le son qui te parvient sur le moment, et surtout ne pas anticiper ce qui va suivre. L’immersion doit être totale sinon ça ne marche pas. Mais les efforts sont payants : tu te sens bien, c’est clair.
Ce turbo ronron tournoie dans les airs, du fait de son déphasage. Je suis fox mulder. je me situe actuellement dans le désert du nouveau mexique, et je contemple du sol un gros objet noir qui flotte immobile dans le ciel. Autour de moi l’espace temps est un peu chamboulé, les lois de la physique ramollissent comme une montre surréaliste. Le temps n’existe plus, je flotte dans un présent perpétuel où mon corps est comme un long fil reliant ma naissance à ma mort. un être aux dimensions infinies se déplaçant avec aisance dans les 4 dimensions, pour l’éternité. Quand j’écoute ce disque, je ne suis plus Guy-Jean, je suis un lac. Je m’étale, j’ondoie, je reflète.
J’ai dépassé la moitié. Toujours presque aucun changement. Je pensais que le paysage serait un peu plus bariolé, j’ai en tête ces longs rouleaux de partition où chaque potentiomètre du gros synthétiseur est représenté sur une ligne. Ce sont de jolis objets d’ailleurs. Donc la; Transamortem Transamorem, bof pas grand chose. Ou alors je suis pas assez attentif. Ah si à 40 minutes et 40 secondes environ, et pendant une demi secondes, le sifflement a changé. Mais était-ce volontaire ? En partant du principe que oui, à quoi ça a servi ? Peut-être, à faire parler les bavards. Ou plutôt, à réveiller les endormis, comme un coup de kyosaku sur les épaules. Oh puis quelques minutes plus tard, il se passe la même chose. Je dois dire que ça réveille un peu. Je m’étais presque assoupi. Comme dans la méditation zen, le piège c’est l’endormissement. C’est pour ça qu’il faut garder les yeux ouverts, et maintenir la posture juste. La colonne droite tendue vers le ciel, la tête comme accrochée au plafond avec une ficelle nouée au sommet du crâne.
Non, cette musique ne peut pas s’écouter n’importe quand. Vous allez me dire : comme toutes les musiques. A chacune son lieu, son moment, son occasion. Son rituel, serais-je tenté d’ajouter. Il s’agit d’une forme de méditation, dans le cas de ce disque. Il ne faut pas systématiquement méditer avec une musique de fond aussi lacustre soit-elle. De temps en temps, oui, à titre d’expérience. C’est comme le sexe dans un lieu inhabituel. Sous les pins, à l’océan, par exemple (se munir d’une serviette de plage, de préférence). La musique d’Eliane Radigue est donc quelque chose qui doit rester rare, dans ta vie. Tu ne vas pas l’écouter en boucle comme un album de Sonic Youth, des Beach Boys ou de Carly Rae Jepsen. Non la musique d’Eliane Radigue est comme une étoile filante, une éclipse de lune, une soirée de nouvel an réussie. Un instant précieux, qui restera gravé éternellement dans ta mémoire, mais dont les occurrences restent exceptionnelles. C’est exactement ce que dit Brandon Lee, ce grand philosophe mort trop tôt, dans une interview sur le tournage de The Crow. Paix à son âme.
(petite parenthèse : je me rends compte qu’en levant la tête et en regardant vers le plafond, j’entends un bruit que je n’entendais pas jusque là, une rapide pulsation très aigue, comme un language extraterrestre de film hollywoodien des années 90 avec Will Smith. C’est troublant : ce son parvenait à mes oreilles jusqu’à maintenant, est-ce qu’une partie de moi immergée l’a reçu et décodé ? Maintenant, j’ai juste envie de regarder au plafond jusqu’à la fin du disque mais ça risque d’être délicat pour taper sur mon clavier.)
Je sens un reflux imperceptible. On s’approche de la fin on dirait. C’est vraiment très subtil comme la course du Soleil. Les ombres s’allongent s’allongent s’allongent. L E N T E M E N T. Ou alors j’ai rêvé, je sais pas. Cette musique possède une inertie incroyable, le meilleur hand spinner du monde ne peut pas rivaliser. Bref. Le Soleil est de plus en plus bas sur l’horizon. Je peux le voir avancer à vue d’oeil maintenant. Le ciel se teinte de rouge, et puis le disque finit par toucher l’horizon, il s’enfonce dans des sables mouvants, pris au piège, la pénombre s’installe, les insectes nocturnes se réveillent, tranquillité, sérénité, tu es arrivé, tu es chez toi, tu es arrivé, tu es chez toi.