Basic House – Oats

Ah on va parler du disque de Basic House (aka Steven Bishop) qui vient de sortir. Ce petit ours roux nous sort des trucs pas mal depuis deux ans. Ca a commencé avec sa cassette de musique bizarroïde chez Koppklys, puis il y a eu de la techno approximative sur son propre label, Opal Tapes, et une autre cassette chez Washy Tapes, puis un lp chez Digitalis… Le tout en un an à peine! Il est même venu jouer à Bordeaux au Bootleg et c’était pas mal, pas délirant non plus, mais il va s’améliorer avec le temps. En live, je veux dire. Bref. Dernièrement, M. Bishop a sorti un deuxième LP, Oats, sur le tout petit label anglais Alter. Et ça va largement plus loin que tout ce qu’il avait fait jusque là.

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Le disque démarre avec un morceau plein de souffle, de bruit, blanc, de saturation, mais le tout reposant sur un kick techno bien gonflé. Ca démarre bien, c’est un peu inquiétant, ça fait danser, c’est dans l’air du temps. Oh c’est pas une rime cachée ça? Enfin bref.

Le morceau suivant ressemble à l’intérieur d’une machine. C’est un son littéralement industriel. J’adore ce point de jonction entre la musique industrielle et la techno. C’est une des choses vraiment cool qui se passent en ce moment. Bon bien sûr il y a des guerres et des clochards et des enfants qui travaillent, mais on a quand même encore le droit de se réjouir des derniers développements de la culture populaire mondialisée non? Je trouve ça tellement parfait qu’aujourd’hui les gens se mettent à écouter de la musique évoquant ces lieux primitifs sales et bruyants où l’on fabrique les biens de consommation courante. Pourquoi tout d’un coup on en vient à apprécier des sons inhumains d’objets qui résonnent en étant actionnés par d’autres objets? Est-ce que les gens ont enfin accepté l’idée qu’il y a du beau dans toute chose? Est-ce que ma soeur va écouter Autechre l’année prochaine? Pourquoi j’ai toujours envie de manger des cookies? 

Ce qui est très intéressant avec ce disque, c’est ce qu’il montre du genre techno. C’est une étendue beaucoup plus vaste que ne peut l’être le rock par exemple. La techno, c’est un squelette, une structure porteuse, sur laquelle on peut installer n’importe quoi. Les possibilités sont infinies. C’est ce que je me dis en écoutant ça. En gros, tu mets un gros kick en tempo binaire, deux trois percussions pour faire bouger les fesses, et ensuite, tu fais ce que tu veux. Je dis pas que tout sera efficace. Je dis juste que toutes les directions sont a priori valables et méritent d’être explorées. Est-ce que Basic House c’est encore de la techno? Oui je pense. Qu’est-ce qu’il en pense lui même, ça je sais pas. Ca serait intéressant de lui poser la question. Si ça n’a pas déjà été fait. A vérifier.

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Bon je suis environ à mi album et je trouve que c’est vraiment bien. C’est abrasif et moelleux en même temps ; complètement hypnotique. Le morceau central par contre est très bizarre. Une boite à meuh, une infraballe qui rebondit, des samples de magnétoscope, mélange digital analogique, de la réverbe vieillotte, un son délavé, des voix, des bruits de pas? Cette boite à meuh passée au ralenti m’intrigue beaucoup. Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse réellement d’une boite à meuh, c’est juste pour vous donner une idée du son. Morceau totalement étrange, on est vraiment dans une autre dimension. Tiens ça fait longtemps que j’ai pas sorti la référence à Half Life. Vous savez, la fin, quand Gordon Freeman arrive dans Xen, la dimension parallèle d’où viennent tous les monstes. Je trouve qu’on a rarement fait aussi bizarroïde dans l’histoire culturelle récente. Pour plusieurs raisons que j’ai un peu la flemme d’énoncer. 

Le morceau suivant n’est pas vraiment plus normal. Il va peut-être falloir accepter le fait que ce mec est un vrai weirdo, sous ses airs de nounours sympa. Weirdo anglais classique, à la Steven Stapleton. Oui parce que là ce qui se passe dans mon casque est totalement hallucinant. Des sons d’origine diverses mais à connotation “usine de trucs rouillés” s’assemblent et se ré-assemblent en rythme de manière insensée. On dirait un nouveau genre de musique, mais exécuté avec la confiance d’un mec qui fabrique des tubes. Aucun scrupule. C’est admirable. Ce mec n’en a rien à foutre. Il sort des tracks géniaux que n’importe quel autre producteur n’oserait même pas faire écouter à son conjoint. Il est légèrement inconscient de ce qu’il est en train de faire, sûrement. Peu importe, c’est complètement jouissif, comme a dû l’être God Save the Queen en 1977. Mais sans le côté politique, juste parce qu’il ne se rend pas compte de ce qu’il fait. 

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Bon ok j’exagère un peu je crois. Je suis pas sûr. En tout cas oui je vais classer cet album dans la catégorie “super cool plus plus plus mention urgent”. 

Le huitième morceau c’est de la musique tunnel. Les trains qui s’engouffrent dans le tunnel sous la manche doivent faire ce bruit. Dans une autre dimension. En fait je pense plus à un train du futur avec un blindage super costaud pour résister aux assauts des pirates du rail. Et la voie ferrée longerait le bord de mer, à flanc de falaise ; pénétrerait dans des tunnels, ressortirait. Ce morceau s’appelle Nurse mais pour moi il aurait du s’appelait Train – Tunnel ou quelque chose du genre. 

Ensuit il y a un truc qui s’appelle La Coccinelle. Et ça commence mal, c’est un son d’objet en bois qui rebondit et frotte par terre. Un bébé qui marcherait à quatre pattes avec à la main un jouet en bois. Au secours. Puis un kick étouffé entre progressivement, avec la basse qui l’accompagne. Il y a donc d’un côté la musique bizarre avec des sons réels enregistrés, et de l’autre le morceau de techno. Les deux s’imbriquent parfaitement, mais c’est pas pour ça que leur rencontre est particulièrement esthétique. En fait, c’est pas très beau. C’est presque pénible. Heureusement la partie techno prend de plus en plus d’importance jusqu’à dévorer presque entièrement l’autre. C’est limite rassurant Mais toujours très étrange. Il y a une sorte de nappe qui bourdonne, de plus en plus présente. C’est marrant l’effet qu’elle procure. C’est comme si elle ralentissait le temps. Elle aide aussi à se concentrer. C’est comme une mire, un viseur… Bref. WOW. 

Il reste deux morceaux qui à eux deux totalisent 20 minutes. C’est ouf. Le premier c’est C-Beat. Il y a ces petites aiguilles funky, des diamants, de la profondeur, de l’écho… Démarrage très très en douceur, mais c’est normal pour un morceau de 10 minutes. Pourquoi je pense à une musique de JT, je sais pas, mais n’empêche que c’est le cas. Et je pense aussi à une présentatrice blonde avec une permanente des années 80 et une veste de tailleur à épaulettes. Rose. Derrière elle il y a une carte du monde quadrillée en bleu. Elle prend un air très sérieux quand elle ouvre sa bouche, elle fronce les sourcils en changeant de profil toutes les 5 secondes en moyenne. Tout ça pour annoncer le vainqueur des prix Goncourt et Renaudot 2013. Au secours. Oui imaginer une journaliste en tailleur rose c’est un peu déprimant. Pas sexy du tout. C’est une musique qui mérite de meilleurs comparaisons, désolé mec, je suis pas à la hauteur, je ne peux que réduire à néant tes travaux en les recouvrant de ma prose brutasse. Mais bon ça m’amuse. Bisou. 

C’est vraiment pas mon morceau préféré ce C-Beat. La fin est sympa, tout de même, un fondu silence tellement lent qu’on fini par se laisser entrainer. Le suivant démarre avec un bruit d’usine, encore. Un séchoir géant et manipulable comme un stylo géant qui peut aller dans les coins géants. La machine circule sur rails le long de la chaine de production, à environ 20 centimètres par secondes. Je sais pas trop si il faut un homme ou pas pour la piloter, il y a bien un truc qui ressemble à un cockpit, mais la vitre est fumée. Zarbi. Et si il s’agit d’un séchoir, qu’est-ce que ça sèche? Mystère mystère. Il pourrait s’agir d’objet complètement bidon comme des petits jouets en plastique en forme de dinosaures ou des cafetières à jeton de Nespresso ou des voitures. C’est de l’authentique musique industrielle mais sans discours politique. C’est de la musique industrielle dont la raison d’être résiderait dans sa beauté intrinsèque. L’apprécier supposerait qu’on est capable de reconnaitre l’agréable, pour ne pas dire la beauté, dans n’importe quoi. Un ronron de machine, ça berce un homme (ou une femme, comprendre homme au sens “être humain”). Pourquoi ça le berce? Parce que c’est agréable, ça rappelle des souvenirs maternels, parce qu’on a envie de se blottir dedans ou de se laisser flotter au dessus. Ouai. S’en rendre compte, c’est une marque d’élévation intellectuelle. C’est vraiment tout ce que j’avais à dire alors je vous dis salut les nuls, à plus.