Yo le matin au réveil rien de mieux qu’un vieux disque d’Ariel Pink alors ce matin on va mettre The Doldrums. Il commence sur ces mots :
They say that part of growing up is
Getting a job
Well, I don’t wanna grow up
They say part of being young is
Going to school
Well, I’d rather grow up
Ce sont des paroles qui me plaisent. Cette chanson s’appelle Good kid make bad Grown Ups. C’est la première d’une longue série. 15 chansons, pour une heure de folie, une heure d’Alice aux pays des merveilles, une heure de pop sous lsd des années 70/80, une heure de voyage dans le temps, de sweat shirts trop grands, de cheveux blonds décolorés, de beatbox comme vous n’en avez jamais entendu… De la musique étrange, ça c’est clair mais aussi de bonnes chansons. C’est le mélange idéal. On dirait que ça a été enregistré sur cassette. C’est sûrement le cas. On dit qu’Ariel Pink a enregistré toutes ses chansons dans les années 90, mis à part son dernier album fabriqué en studio avec un vrai groupe. Qu’a-t-il fait entre temps? Il a dû pas mal faire le débile dans la rue à LA, sortir tard le soir, boire plein de coca light, manger des fruits, regarder des cassettes vhs délavées comme sa longue crinière, manger des céréales en forme d’étoiles, aller à Macdo avec ses copains, regarder Oprah Winfrey à la télé, regarder les Simpsons, conduire une vieille voiture japonaise des années 80 (si il a le permis), faire des bêtises avec sa meuf aussi folle que lui, manger des glaces en bord de mer en regardant les enfants faire du manège et Mickael Douglas se faire descendre par un flic, se moquer des mouettes qui volent au dessus de la plage, être heureux. Non mais sérieusement, avec vous déjà vu un mec aussi heureux et aussi fou? Avez vous déjà vu un mec qui met une robe à l’envers et qui fait EXPRES?
Among dreams, we’re best friends
While in life we float apart
En fait ses paroles parlent souvent de filles qu’il arrive pas à avoir.
No, she’s never gonna reach the shore
C’est un peu triste. Je ne comprends pas pourquoi, mais à mes yeux c’est le mec heureux le plus triste du monde. Il est les deux à la fois. C’est sûrement ce détachement apparent, presque bouddhiste, qui le fait sembler heureux alors qu’en fait il attend quelqu’un. Il doit se sentir seul. De toute façon, pour faire de la musique pop, aussi bizarre soit-elle, il faut se sentir seul, horriblement seul. On fait pas de la pop quand tout va bien parce qu’on n’en a pas besoin. On fait de la pop parce qu’il y a un énorme trou dans notre coeur et qu’il faut le combler, par tous les moyens.
I wait and wait, but Kate’s so late
(No, she’s never gonna sense you)
(Ah, she’s never gonna cherish you)
Me dites pas que ça vous est jamais arrivé, que vous avez jamais essayé d’écrire une chanson, peut-être seulement dans votre tête, quand vous étiez seul sur votre lit les joues humides, et que la face B de Darklands se terminait pour la 5e fois de la journée, et que vous vous sentiez aussi mal que si vous étiez en manque d’heroïne, un mal tellement insidieux, comme si des petites bestioles microscopiques rongeaient chacunes de vos milliards de cellules, sans moyen d’arrêter ça. Sauf, donc, écouter de la musique, écrire une chanson triste.
You know that never’s coming back
And this is the end
Again, the weather’s turning black
Like never before
This ain’t no game that you can cheat off, no
She’s playing you
You’ve been writing on haunted graffiti
With your permanent marker
You’re working the milieu today
Haunted graffiti
OK Ariel Pink est une sorte de clown triste. Indie Arty Clown Triste. Avec des pulls aux motifs ringards/cools et un micro de pilote d’avion. Il fait des chansons tristes qui parlent de frustration, de filles, d’absence, le tout mélangé. Sa musique sonne vieux et délavé comme ses pulls et ses cheveux. Triste et magnifique. C’est de la musique hantée, de la musique fantômatique, de la musique de mec qui reste là alors qu’il devrait être ailleurs, de la musique de mec qui était promis à un grand destin et qui n’a eu que des choses moyennes, médiocres, modérément enthousiasmantes. Un demi dieu qui vit dans un monde de minables.
with barely anything to say
i’m living with my problems and
can’t do a thing about them
i’m living in the doldrums
cuz i’m not you
cuz you don’t love me
like i love you
Quand j’écoute ces chansons j’ai l’impression de comprendre parfaitement ce qu’il raconte, d’avoir déjà vécu exactement la même chose PLUSIEURS FOIS. Ariel Pink c’est moi, c’est mon double californien arty clown triste qui fait du beat box en regardant un coucher de soleil sur Venice Beach.
i’m leaving on a train today
yeah that’s what i’d like to say
but i’m staying in my room today
and it’s ooh so plain
i’m living in the doldrums
and i’m living it for you too
no you can go do anything
cuz i love you
Je me rends compte que je n’ai aucune idée précise de ce qui constitue sa musique. Quel genre de structure ont ses chansons, quelles influences, tout ça? Je suis tellement impressionné par les paroles que j’en ai oublié la bande son. Alors par exemple sur Envelopes Another day dont le refrain dit “In the grave silence I locked your love”, on trouve une basse, une batterie jouée avec la bouche, un synthé imitant un orchestre à cordes, et en gros c’est tout. La voix qui fait plein de trucs. Qui joue la batterie donc, qui siffle, qui chante avec plusieurs voix différentes, qui imite même un solo à la guitare wahwah. La musique ressemble à de la pop FM des années 80, des trucs romantiques, des trucs qui passaient sur ces stations émettant en modulation d’amplitude, avec un son tout plat, tout délavé. On a l’impression qu’Ariel Pink est un extra terrestre qui comprend pas notre langue mais essaie tant bien que mal d’imiter ce qu’il a entendu à la radio dans les années 80, c’est sa façon à lui de communiquer. Il y a même un morceau qui fait un peu rap, enfin pas vraiment, mais parlé et saccadé comme ces trucs des années 80. Comme dans Nuit de Folie de Début de Soirée.
Don’t know
Don’t know about love
I just don’t know
About love
Just don’t know
About love
I just don’t-
Die, die, dying dead
They were led!
Cette chanson là, The Ballad Of Bobby Pyn, est remarquable. Pas parce qu’elle est bien, mais parce qu’elle dénote un peu par rapport aux autres, elle est un peu plus ironique, elle me ferait presque rire alors pourtant que les paroles sont une fois de plus très tristes. Mais c’est sa manière de jouer le mec sérieux qui est totalement ridicule. Imaginez un petit garçon de 5 ans qui se prend pour Joey Starr ou Mel Gibson ou Barak Obama, c’est marrant, là c’est pareil. Ariel Pink n’est pas un adulte. C’est même pas un ado, c’est un enfant. C’est Mickael Jackson. C’est le Mickael Jackson en version clown triste bricolo lofi délavé retour vers le futur. Qui met ses vêtements à l’envers PARFOIS. Cette chanson sérieuse est toujours pas finie, elle dure plus de dix minutes. A la fin il y a des effets de filtre et de délai, c’est un peu psychédélique, kaleidoscopique et tout. Des expérimentations pas mal du tout.
Et puis la chanson d’après revient au style clown triste classique.
Don’t think twice, my love
I’m not like my love
I’m unkind to you
All the time
So tell me, here you are
Cry, my love
Je crois que si j’ai autant de mal à analyser la musique, c’est parce qu’elle sonne terriblement “étrangère” à mes oreilles. Elle s’inspire de choses qui n’appartiennent pas à mon catalogue de références habituel, et puis c’est joué de manière tellement bizarre, enregistré de manière tellement bizarre, mon dieu que c’est original comme musique. J’aime bien sa manière de jouer de la basse. Je sais pas pourquoi, même ça il le fait pas comme tout le monde. Il y a un morceau, le onzième, qui s’appelle Until The Night Dies, du début jusqu’à la fin le son passe de gauche à droite et de droite à gauche, c’est complètement malade.
Le suivant s’appelle Crying et il me fait penser à un truc. En fait il y a un gros décalage dans la musique d’Ariel Pink, un décalage entre les paroles et la musique. Les paroles sont toujours affreusement tristes, vous l’aurez compris, la fille veut jamais de lui, il est tout seul, il pense à elle toute la journée enfermé dans sa chambre, il est limite neurasthénique, il aimerait bien partir mais il peut pas… Et pendant ce temps la musique qui joue est assez NEUTRE. Voire un peu souriante. C’est pas franchement joyeux, et puis avec ces effets bizarres et cette production digne d’un radio cassette karaoké, ça reste brumeux, et donc, dans le langage musical moderne, nostalgique, mais au fond quand on se concentre un peu dessus on se rend compte que c’est absolument pas pathétique comme le contenu des paroles. Ce décalage est intéressant. Je me demande comment l’analyser. Est-ce que c’est fait exprès, ou est-ce que c’est comme ça parce qu’Ariel ne sait pas faire autre chose comme musique? Ça rejoindrait ma théorie de l’Extraterrestre qui se contente de reproduire ce qu’il a entendu pour montrer qu’il veut communiquer.
You were sitting by the fire
And I just watched from far away
Something out there made you smile
And the forest was cold,
But my body was warm
It finally felt like this was our home
And right then I ran all the way back
Into your arms
L’avant dernière chanson s’appelle Let’s Build A Campfire There et cette fois je crois qu’Ariel finit dans les bras de la fille. C’est important. C’est d’ailleurs la chanson la plus joyeuse du disque. Je l’aime bien. C’est aussi une des plus déglinguées. C’est le roi des changements de tonalité inopinés Ariel Pink. Il te prend à contre pied au moment ou tu ne t’y attends pas. C’est un farceur, c’est un clown. Un clown triste cool délavé. Qui parle à une fille à longueur de chanson.
I, I could have loved you
You never told me that you felt this way
And I, without you, I step away
CONCLUSION. Ce disque est une oeuvre d’art comme il y en a peu dans le monde merveilleux de la pop. Il est cohérent, il dit quelque chose, il a une esthétique, il semble venir de nulle part. Je ne l’écouterais pas tous les jours c’est clair. Il ne m’a pas bouleversé, il ne m’a pas rendu triste ou joyeux. Peut-être que c’était pas le bon moment. Mais c’est pas ça qui va m’empêcher de le trouver génial. J’aimerais que tous les disques soient aussi radicalement différents de tout le reste. C’est une singularité et la singularité, c’est une qualité en soi, en matière d’art. C’est pas la seule, mais c’en est une. Et puis, de manière générale, imaginons que je sois un gamin pourri gâté qui a cinquante peluches, mais cinquante fois la même. si on m’en offre une autre, mais encore la même, disons un 51e Popple rose, j’aurai même pas envie de l’inviter à ma dînette. Par contre si une tante excentrique débarque d’Angleterre et m’offre une peluche différente, par exemple un petit monstre péteur qui tire la langue, ça deviendra sûrement à la seconde mon nouveau meilleur ami. Quand bien même il est moche, pas très doux, pas agréable à câliner, pas câlinable du tout d’ailleurs. Ben voilà. Ariel Pink, c’est mon petit monstre pêteur qui tire la langue. Bon voilà à plus.