Thomas Ankersmit/Valerio Tricoli – Forma II (2011)

Bon ce matin on va parler d’un disque que j’aime beaucoup, pour changer. Thomas Ankersmit Et Valerio Tricoli (Thom & Val, ensuite, merci) sont deux artistes Berlinois qui sont actifs dans plusieurs milieux, art contemporain, musiques sérieuses, musiques pas sérieuses… Ce disque a été enregistré sur une longue période, de 2008 à 2010, à Berlin, et c’est un peu l’auberge espagnole des techniques et des formes de la musique expérimentale : bidouillages numériques, synthés analogiques, éléments acoustiques, drones, bruits à la R2 D2, trucs jolis, trucs qui font peur… Et malgré tout ça garde une sacrée cohérence, à l’image de la sublime pochette représentant un oiseau qui ressemble à un paon, mais en blanc, couvert de lignes géométriques abstraites. Le mariage du numérique et de l’analogique, de l’acoustique et de l’électronique, un mariage équilibré, qui part sur de bonnes bases, qui fêtera ses noces de platine à n’en pas douter. 

Le premier morceau dure 11 minutes, il s’appelle Zwerm Voor Tithonus. Je sais pas si c’est de l’allemand, on dirait pas. C’est intéressant, une rencontre entre des sons très étirés, un peu flous, formés d’un empilement de couches de synthés et de prises acoustiques je suppose, et plein de craquements, de petits sons qui font crcrfftfcftcrcrftctfrcrcr. 

Bon voici le deuxième morceau qui est plus court et qui s’appelle Brent Mini. Le principe est le même, napes amples, soyeuses, avec des reflets multicolores comme un tissu bleu pétrole, et par dessus des crissements électroniques qui rappellent vaguement le craquement de la neige fraiche. Le morceau évolue lentement avec l’apparition de nouvelles couches de son plus aigus puis BAM le silence, et là comme une sorte de solo de prprpprprptprtrpt électroniques. On aurait bien vu un mec à l’humour potache de chez Warp faire ça dans les années 90, aujourd’hui c’est des gens sérieux. Remarque, je ne les connais pas, peut-être ne sont ils pas si sérieux que ça. Peut-être qu’ils buvaient des bières et qu’ils balançaient des blagues sur les blondes pendant l’enregistrement. On sait jamais. Speedy J buvait bien du thé et écoutait les oiseaux chanter quand il a enregistré son album hyper dark là, je sais plus son nom*… 

Bon, le 3e morceau est un peu différent et c’est TANT MIEUX. Ça commence avec un son de basse synthétique qui bourdonne, quasiment une sinusoïde, auquel viennent s’ajouter petit à petit divers sifflements très aigus, et des sons qui ont l’air plus réels et pleins de réverbération naturelle, genre des sons captés dans un grand silo, la calle d’un bateau, un chateau d’eau vide, je sais pas. Je trouve ce morceau un peu plus naratif, il évolue plus vite, les ambiances qui s’enchainent sont assez différentes, elles semblent vouloir dire quelque chose. Ah oui, je lisais un article sur Alien ce matin, et cette musique me fait pas mal penser à ça. Pas le Nostromo, mais le vaisseau abandonné où ils trouvent les Aliens et cet énorme extra-terrestre fossilisé. Beaucoup de vent, du brouillard numérique, des machines qui s’entrechoquent en libérant des vagues de son rebondissant sur les parois. C’est inhumain, parce qu’il n’y a pas ce qui constitue d’habitude le langage musical humain habituel, celui qui sert à transmettre des émotions en tout cas. Mais c’est vivant, dans la mesure où une machine hyper perfectionnée peut-être vivante. Wall-E était-il vivant? Moi franchement, je pense que oui, et il en va de même de cette musique. Elle grouille de vie, elle peut nous faire peur à nous parce qu’elle ne nous ressemble pas, mais peut-être qu’à d’autres oreilles elle peut paraître je sais pas, joyeuse… Ça pourrait très bien être de la musique de fête pour robots, de la musique qu’on joue aux mariages de robots ou qu’on retrouverait sur une compile “La plus grande discothèque du monde” version robot. Ah au fait, ce morceau s’appelle Hunt. Le titre est explicite, je ne pense pas m’être trompé quand je disais qu’il racontait une histoire. 

OH le morceau suivant commence avec une sirène genre alerte incendie. Mais en plus intéressant. Ça s’appelle Plague #7 et c’est assez long apparemment. Ça tombe bien je suis pas pressé. J’insiste sur le fait que ce disque est TRÈS FUN à écouter. N’ayez pas peur, il ne faut pas que l’abstraction et le côté musique sérieuse / art contemporain vous rebute (je suppose ici que mon blog touche un public très varié). C’est vraiment très plaisant à écouter. Des vibrations de hauteur et de texture variées viennent s’ajouter à la sirène, puis celle-ci s’efface pour laisser la place à un bourdonnement dans les graves avec des harmoniques plus aigues. Pas mal de sons, c’est minimaliste et très riche en même temps. Et très beau, ce sont de très belles textures sonores, on sent l’énorme travail qu’il y a derrière. Je sais pas si c’est l’influence de la pochette qui fait ça, mais dans ma tête, je vois surtout du bleu, du blanc, du glacé. Une citerne de bateau toute blanche remplie d’eau gelée sur laquelle s’affairent plein de petits robots. OH comme dans Rendez-Vous Avec Rama tiens. C’est bizarre que je n’y pense que maintenant, c’est tellement évident : ce disque c’est la bande son de Rendez-Vous Avec Rama!! Forcément. Ça colle parfaitement. Le côté intimiste et hyper ouvert en même temps, l’étendue d’eau gelée, les robots qui grouillent, cette intelligence d’origine inconnue, étouffante par son absence et en même temps présente partout où on pose les yeux – partout où on jette une oreille. C’est de la musique de science fiction, qui devrait plaire à ceux qui aiment bien les livres de science fiction, comme moi. Les trois dernières minutes du morceau sont très calme, un calme après la tempête. Parce que précédemment, ça secouait pas mal. Ça fait du bien, vraiment, mais on a un peu peur aussi, parce que ça pourrait rompre à tout moment, on est comme dans l’oeil du cyclone, ou au sommet d’une trajectoire en cloche, au moment ou la vitesse verticale devient nulle, juste avant de retomber, en haut des montagnes russes… Mais non. Ça finit par un grand blanc de 40 secondes. Merci pour nous, Thom & Val. Merci pour mon coeur. 

Ouhlala le cinquième et dernier et plus long morceau du disque est surprenant, il commence avec deux saxophones qui jouent à l’unisson, les deux instruments frottent un peu, ça fait comme un effet de flanger naturel ou je sais pas quoi, c’est beau. Le bourdonnement des sax est vite enrichi par des sortes de trucs à cordes (naturelles ou synthétiques, j’ai du mal à savoir). On est presque chez Tony Conrad là! Ou non, dans Cosmos de Murcof! Enfin c’est chouette. C’est reposant, et pour le coup c’est bien plus humain et chaleureux que ce qui nous est arrivé dans les oreilles précédemment. Tous les instruments forment ensemble un accord impossible, mais assez beau. ÇA manque un peu de basse, peut-être qu’elle va arriver, j’aime bien quand il y a de la basse. Mais c’est intéressant quand même. C’est un mur de son, une barrière énergétique, un truc vertical en tout cas, mais qui semble monter, et entrainer l’auditeur dans l’ascension. C’est de la musique qui élève. Et qui isole. C’est parfait. Le saxophone, UN saxophone en tout cas, s’amuse bien au fond à gauche, il se la joue Coltrane ralenti 800 fois. Je me demande quand même pourquoi ils ont mis ce morceau à la fin. Qu’est-ce qu’ils ont voulu dire en mettant un truc si différent du reste en dernière position. J’espère en tout cas qu’ils ont voulu dire quelque chose, et qu’ils n’ont pas mis ça là PAF comme ça, juste parce qu’il fallait le caser quelque part. Le reste du disque est tellement intelligent, ce morceau l’est aussi, mais il faut être cohérent jusqu’au bout, ne rien laisser au hasard du début à la fin, sinon ça fait un peu flemmard. C’est ma spécialité ça, à cause de mes problèmes de déficit d’attention. Je fais un truc très bien, mais à la fin ça me saoule, alors je bâcle. Ça m’arrive sans arrêt. Peut être que Machin et Truc ont ADD. Je sais pas. En tout cas ce dernier morceau pris séparément du reste est vraiment beau. La dominante ici est acoustique, non plus electronique, c’est un retournement. C’est le renversement de perspectives qui a lieu aux trois quarts du Traité de Savoir Vivre à l’Usage des Jeunes Générations! C’est la fin de la société de classes et le Paradis qui descend sur Terre. ENFIN. Les violons sont bel et bien réels, mais traités avec des effets électroniques ou autre. Un effet lofi, la bande passante réduite. Le monolithe s’effrite un peu avec le temps, comme si les instruments cherchaient à retrouver leur individualité. ET OUAI le collectif c’est pas tout. Mais bon ça marche pas trop. Ils abandonnent, ils sont trop essouflés, ils se taisent et ne subsiste en fond que le ronron de la Terre. 

Bon voila. Conclusion : écoutez ce disque trop bien. C’est tout. Bises à plus. 

* Speedy J – A Shocking Hobby (2000)