ALTAÏR TEMPLE / EXPO 70 Split Lp

Altaïr Temple commence. Ça démarre en douceur, comme un lever de Soleil. De longs fils synthétiques sont déroulés lentement, c’est beau comme un ciel de feu rempli de nuages, la fin de Top Gun ou un truc comme ça. Ou un spectacle cosmique carrément, pause pipi devant une galaxie spirale, on prend le temps de contempler le paysage, aux dimensions titanesques, mais tellement serein, c’est le genre de beauté qui nous dépasse et qu’on comprend à peine, et qui a poussé les hommes à s’inventer des Dieux. C’est dommage, le morceau se termine trop vite, j’ai pas eu le temps de me fondre dedans, c’est un truc que je ressens toujours au bout d’un moment avec ce genre de musique pourtant. En tout cas je trouve que pour du drone, c’est très bien fait, les textures sont magnifiques, le son est équilibré, massif sans être trop agressif non plus. La guitare, puisque oui, il y a une guitare, est jouée de manière très subtile, avec doigté. C’est pas ce qu’il y a de plus facile, la tentation est grande de lâcher de gros accords bien velus et de se prendre pour Sunn O))) et compagnie, mais non, là il y a juste ce qu’il faut pour épaissir et enrichir le son sans que ça vire au carnaval. C’est de la musique très sérieuse, c’est pas des gamins qui font mumuse avec un macbook et une guitare big muff. Le deuxième morceau est encore plus court, mais toujours aussi beau, et toujours aussi sereinement vibratoire. Les accords sont majeurs chez Altaïr Temple, comme chez les Stars Of The Lids, on se sent vraiment bien quand on écoute ça, c’est tout à fait recommandable au cours d’une séance champignonesque. Le dernier morceau est dans la même veine, mais en moins tellurique, moins de basse, et puis cet espèce de bruit blanc filtré qui rappelle le souffle du vent dans les arbres, ou dans les nuages peut-être. Difficile de ne pas penser au paradis quand on écoute cette musique. J’ai été très marqué dans mon adolescence par un animé japonais qui s’appelle Lain. C’est une histoire un peu cyberpunk avec une petite fille qui finit par se fondre physiquement dans le réseau, tout en devenant une sorte de dieu ou je sais pas quoi. C’est compliqué comme du David Lynch. Bref. Dans un épisode, le visage de la petite fille, Lain, apparait en géant dans le ciel, dans une trouée entre les nuages. Les passants dans la rue s’arrêtent tous pour regarder, ils sont un peu perdus, paniqués… Depuis, je fantasme souvent sur cette apparition divine. Je voudrais qu’un Dieu quelconque vienne nous parler de son énorme voix qui vient d’en Haut, pour nous dire des trucs gentils et réconfortants. Cette musique me donne un peu la même impression : un truc titanesque mais bienveillant se penche sur moi et me dit ne t’inquiète pas Guy-Jean, tout va bien, le monde est beau, plein d’amour, détend-toi… J’ai envie de me repasser ces trois morceaux. Ils sont courts c’est dommage, mais en même temps il suffit de remettre au début et hop, on a un disque deux fois plus long! Je suis assez frappé par la subtilité du mix, la guitare est bien au fond, c’est une présence fantomatique. J’aime. Beaucoup. Le deuxième morceau commence avec une forme d’onde assez pure, lentement modulée, enrichie, enrobée par un son beaucoup plus grave et massif, provenant peut-être d’une guitare sous accordée, c’est difficile à dire, ce son est assez pur lui aussi, peu d’harmoniques, une vibration primordiale, c’est un Om joué à la guitare. TROP COURT. Et puis le dernier morceau, Ars Theurgia. Le vent qui fait chhhhhh… chhhhhhh… chhhhhh… La réverb donne l’impression qu’on se trouve dans un endroit clos mais gigantesque, une grande cathédrale… J’aime bien avoir cette impression de monde vaste mais clos, une sorte de cocon géant, j’en ai déjà parlé une fois, à propos de la cassette de No Mind Meditation, sauf que chez eux, c’était le centre de la Terre creuse, ici c’est plutôt le Ciel. Un ciel clos, oui oui, pourquoi pas. Vous connaissez pas l’histoire de la Terre creuse concave? On vivrait à l’intérieur, maintenus au sol par la force centrifuge, et la voûte céleste ne serait qu’une illusion causée par une déviation des faisceaux lumineux ou je sais pas quoi. C’est la Cosmogonie Cellulaire de Cyrus Teed, qui aurait découvert ça dans un moment d’Illumination. C’est fou hein. Moi ça me semble dingue que des gens puissent croire à ce genre de choses, d’ailleurs certains d’entre eux étaient (sont??) authentiquement cinglés, mais quand même, ça fait rêver cette histoire. Bon bref. Je pourrais me passer ce troisième morceau en boucle toute la journée, je suis sûr que ce soir j’aurais le même regard absent et serein que Bernadette Soubirou ou Maître Yoda. 

Le quatrième morceau donc, c’est Expo ‘70. Le dernier truc que j’ai écouté de lui c’est un split avec Brainworlds sur une cassette de chez Hooker Vision. J’ai pas trop aimé d’ailleurs, c’était un enregistrement de concert, le son était pas terrible, et puis il y avait cette affreuse boite à rythme qui gâchait tout. Bon ici on y a encore droit, ça m’énerve un peu, je trouve ça moche et ça découpe une musique qui n’en a pas besoin, qui doit au contraire se déployer sans contrainte, sans barrière, irradier le cosmos dans toutes les directions ; mais non, cette boite à rythme enferme tout ça dans un cadre étriqué, boom boom boom tchak, c’est des rails, c’est plus un vaisseau spatial c’est un stupide train qui roule à deux à l’heure dans un tunnel. On voit pas grand chose dehors, d’autant qu’ils ont allumé les lumières à l’intérieur. On voit surtout nos reflets dans les vitres alors qu’on voulait tellement plus. Tiens il y a un peu de synthé aussi, je sais pas ce que c’est, on dirait un Moog ou un truc comme ça, une sinusoïde qui fait ouin ouin avec plein de délai, ça perce un peu les tympans. Ah oui pour les non initiés faudrait que je décrive un peu mieux cette musique, c’est pas bien de faire comme si tout le monde connaissait Expo 70. Alors en gros c’est un mec qui fait des concerts assis par terre avec une Gibson SG reliée à plein de pédales d’effet, dont un looper, et il fait des boucles de guitare, et il empile les boucles, puis il improvise des solos bluesy cosmiques par dessus. Ses disques, c’est la même chose, je suis pas sûr que le travail en studio soit très élaboré. Mais donc depuis quelques temps la formule évolue, s’enrichit, le mec a acheté un générateur de sons, et une boite à rythme, il néglige un peu sa guitare je trouve, alors qu’il faisait ça tellement bien, c’est une sacrée expérience de s’asseoir à côté de lui, face aux enceintes, et de l’écouter improviser des trucs sur sa guitare, c’est volcanique, on est au bord de la caldeira et on regarde une coulée de lave. C’est ça pour moi Expo 70. Franchement je comprends pas où il veut en venir maintenant. Sa musique n’a pas besoin d’une boite à rythme aussi ringarde, en plus ça swingue comme un poney mort, c’est pas comme si il voulait nous faire danser, ça je serais pas contre, mais bon. Bref, une fois de plus je suis un peu déçu. Les rares moments qui sont consacrés à la guitare ne sont pas beaucoup plus convaincants, elle a l’air un peu désaccordée, et ça sonne vraiment maladroit, raide. J’ai vraiment l’air méchant? Je trouve pas. J’aime beaucoup ce mec d’habitude. Et puis c’est une histoire de sensibilité individuelle, peut-être que d’autres vont trouver ça très bien, et je vois pas pourquoi mon avis vaudrait plus que le leur. C’est comme ça. 

Bon, bref. Je suis un peu mitigé. La partie Altaïr Temple est vraiment bien, et plus que ça même, dans le genre j’ai entendu peu de musique aussi convaincante ces dernières années. La partie Expo 70 est plus anecdotique, une référence de plus dans sa discographie, qui doit bien en compter 50 ou plus. C’est pas grave. On l’aime quand même. Bon voilà c’est tout à plus. 

Quelques infos trouvées sur le bandcamp de Radar Swarm :

released 11 November 2011 

EXPO70 song recorded by Brodie Rush at the Goldroom KCMO during same session as “Death Voyage” Cd/Tape 
Justin Wright : Guitar, Analog drum machine and Moog 

ALTAÏR TEMPLE songs recorded at boogaloo, théâtre barbey and waldeck rousseau, mixed at radar house, Bordeaux. 
Fred : Guitar, effects, synth 
Johan : Analog synths, computer and audiomulch 

Mastered by Cyrille Gachet 
Artwork by LLCOOL JESUS JO