Yellow Swans – Drowner Yellow Swans (2007)

Une cassette des Yellow Swans. Un groupe vraiment admirable mais qui n’existe malheureusement plus aujourd’hui. Ils étaient de Portland, une ville qui fait un peu rêver. Un de ces jours, vous devriez regarder ce film qui s’appelle People Who Do Noise, sur la scène noise de Portland, un documentaire très instructif qui présente plusieurs mecs ou groupes de mecs qui font ce genre de musique de dingue, qui pour ma mère n’est que du bruit, alors qu’en réalité c’est hyper profond tu vois.

Les Yellow Swans étaient deux, un avec des guitares, un sans guitare mais avec des machines qui font du bruit. Je trouve presque tous leurs disques remarquables, je sais pas trop pourquoi, c’est vrai qu’à première vue, c’est que du bruit, mais du BEAU bruit, même quand l’enregistrement est ultra crados, ce qui est le cas ici. Il s’agit d’une cassette, donc sûrement un enregistrement un peu moins soigné, plus brut, mais c’est pas un défaut, c’est autre chose. 

Le premier morceau s’appelle Sandwall, et c’est effectivement un mur. De sable, je sais pas, mais en tout cas un truc extrêmement compact fait de bruit rose blanc, de machins saturés à l’extrême qui occupent tout le spectre. Mais contrairement à, par exemple, les machins de Prurient, ici on ne peut pas s’empêcher de trouver ça beau, mais vraiment beau. On entend distinctement la guitare derrière ce mur de son, elle joue pas vraiment des notes, mais un truc assez triste s’en dégage… Elle s’efface quand même, au bout d’un moment, il ne reste plus que du bruit, un bruit d’avion qui décolle, ça décape absolument tout, d’ailleurs je suis sûr que mon âme est en train de partir en lambeaux au moment où j’écris ces lignes. C’est Hellraiser “ils vont déchirer votre âme”. C’est violent et triste comme un film de Clive Barker, enfin triste je sais pas, je suis pas sûr. Ça devrait être triste, logiquement, objectivement. J’ai peut-être trop bu pour ça. Pour le moment, je me sens juste soufflé, comme si j’étais en plein milieu d’un ouragan, c’est le bruit blanc, je sais pas pourquoi dans ma tête je l’assimile toujours à du vent ou de la pluie, en tout cas, aux intempéries, des trucs naturels qui ne sont ni tristes ni joyeux, qui sont, c’est tout. Il n’y a pas lieu de s’en émouvoir, on peut juste se sentir touché par la puissance des éléments naturels. 

Deuxième piste, Velvet Water, quasiment la même chose, seules les notes de guitare sont vraiment différentes à première vue. Je pense à de l’électricité tout de suite, et c’est vrai que c’est de la musique électrique, sans électricité tout ça ne serait pas possible, c’est normal que ça m’évoque un courant qui passe dans des cables ou non encore mieux, des arcs électriques, l’air ionisé qui devient conducteur, des éclairs, encore des intempéries, cette musique est définitivement celle des éléments déchainés, je sais pas si c’était leur but, mais clairement, nous sommes dans une tempête, avec des rafales de vent qui balaient tout sur leur passage, des éclairs qui zèbrent l’horizon, une grosse masse de sable qui avance lentement en recouvrant tout, c’est une tempête de sable, mais sans commune mesure avec les tempêtes qui s’abattent sur nos plaines terrestres, non, c’est tellement démesuré, et sans vie, c’est forcément une tempête Martienne, un nuage de sable qui dévaste Amazonis Planitia, et répand la mort et la désolation. C’est pour ça peut-être que je trouve ça un peu triste sans être vraiment touché. Je ressens la même chose que lorsque je regarde ces vidéos retransmises par des satellites d’exploration du système solaire. C’est grand, c’est vide, c’est beau. C’est assez fort de faire ça avec seulement des machines à bruit, des guitares, des pédales d’effet, des barbes. Et dans le genre, c’est d’une pureté qui a peu d’équivalents, ces mecs étaient largement plus doués que la moyenne, c’est vraiment dommage qu’ils aient splitté avant que j’aie l’occasion de les voir sur scène. 

Le morceau suivant s’appelle First Drowner. Il est notable parce qu’au bout de 7 minutes la tempête de sable s’arrête et on entend des petites bestioles piailler, peut-etre que ce sont des enfants martiens, je sais pas, une cour de récréation martienne, peut-être qu’ils sont adultes, après tout, il s’agit des martiens qui pleurent parce que la tempête a détruit leur maison, c’est une scène d’après catastrophe, c’est le lendemain de Katrina, c’est le lendemain de Fukushima, c’est pas la joie, c’est clair, même si le ciel est à nouveau clair, pas bleu évidemment, on est sur mars, mais rougeoyant, violacé, je sais pas trop, très beau en tout cas. Cette planète est belle. Je sais pas si vous avez lu ces incroyables bouquins de Kim Stanley Robinson, Mars La Rouge, Mars La Verte, Mars La Bleue, j’en parle tout le temps, ils m’ont traumatisé, depuis je suis amoureux de Mars, et je rêve de faire partie de la première mission d’exploration, bon ok, j’ai pas fait exactement les études qui fallaient, mais on sait jamais, je me battrai, je coucherai avec des vieux si il faut, je tuerai, je renierai ma patrie, mais je partirai sur Mars, c’est clair. C’est tellement beau, et puis c’est la dernière frontière, moi j’aime bien, j’ai envie de repartir à zéro, parce que ma vie ne me satisfait pas vraiment, parce que le monde dans lequel je vis ne m’enchante pas exactement, parce que je m’emmerde terriblement et que j’ai l’impression qu’ici bas ça serait partout pareil, à New York, à Paris, à Melbourne, même à Islamabad. Donc, Mars, ça me fait rêver. 

Tiens, Second Drowner, la tempête de sable est revenue, elle a bien soufflé, elle se calme à nouveau, on entend un prêtre vaudou saturé, et une guitare d’église qui joue toujours les deux même notes en boucle avec plein d’effets par dessus, genre saturation, délai, et oui en fait c’est tout. Ça fait toujours du bruit, oui c’est pas pour rien qu’ils ont fait un film sur les groupes noise, c’est un vrai groupe de noise, et c’est tout une philosophie la musique noise, c’est pas de la musique avec des notes, c’est de la musique sculpture, de la musique qui dessine quelque chose, de la musique qui ne parle pas, qui communique plus directement, qui s’adresse à nos tripes aussi, mais également à notre imagination, de la musique très stimulante, qui muscle le cerveau c’est clair. J’aime tellement imaginer des paysages quand j’écoute un disque, c’est voyager presque autant que lorsqu’on prend l’avion, je vous jure. C’est souvent plus fort que regarder un film, encore faut-il accepter de se laisser balader. Mais ça se travaille, et puis, c’est vrai que les drogues aident un peu, au moins au début, pour ouvrir des portes, ou un truc comme ça. Les fameuses portes d’Aldous Huxley, j’imagine qu’elles ne se referment pas toutes une fois que le trip est terminé. 

Isolation Tank, 5e morceau. Encore une tempête de sable, puis ça se calme et on entend des extraterrestres qui pleurent, qui se lamentent en chantant… Certains rigolent, ou peut-être qu’ils rigolent tous mais alors je me trompe… Ils ne sont pas triste, ils sont contents d’avoir survécu, ils pensent à ce qu’ils vont faire, ils se disent qu’ils peuvent tout reprendre à zéro, reconstruire des maisons à l’architecture plus marrante, repenser les règles d’urbanisme, faire de leur ville une oeuvre d’art géante, comme un parc d’attraction, mais réel, qui serait leur vrai cadre de vie, comme une ville de dessin animé, de fiction, la ville rêvée de Guy Debord, l’urbanisme situationniste mis en pratique sur mars après une tempête de sable. C’est moi qui suis dans un caisson d’isolation sensorielle en ce moment, c’est une image et c’est presque plus qu’une image, cette musique m’isole, c’est vrai, actuellement je suis assis sur le canapé, à ma gauche, ma tendre aimée est assise à son bureau, elle travaille, à ma droite, une émission sur France 2 avec que des tocards, dont Yves Calvi, Cécile Duflot, d’autres hommes politiques encore pire et peut-être un ou deux économistes. J’ai les pieds sur la table basse, le casque sur les oreilles, et jusqu’à maintenant, je n’ai pas pensé à mon environnement immédiat, seulement à la musique et aux mots que j’enfile comme des perles les uns à la suite des autres sans beaucoup penser au précédent, un peu, mais pas trop, oui cette cassette est un caisson d’isolation sensorielle, je ne sens plus rien du réel, seulement ce qui me rentre dans les oreilles. 

Nous voici presque à la fin, après Seafloor, sixième morceau, voilà Beacons-Dijecta, la conclusion, qui souffle aussi fort que les autres, encore une tempête électrique, encore un beau bordel tellement agréable à écouter, et beau tout court d’ailleurs, la guitare résonne comme dans une boite en métal, et une machine lance un cri d’homme des sables, et woa c’est de plus en plus le bordel ou quoi, je sais pas, tout ce sable, on y voit un peu trouble, la visibilité est quasi nulle, il y a pas grand chose à faire, nulle part où se cacher, juste accepter de se prendre ces giflées de sable dans la tronche, et l’acceptation, la résignation, c’est peut-être la clé pour aimer cette musique, on a tous forcément un sentiment de rejet quand on est confronté à ce genre de chaos sonore pour la première fois, mais il faut capituler, accepter de se prendre ces vagues de bruit dans la tronche, il n’y a que comme ça qu’on peut éprouver du plaisir, il ne faut pas lutter donc, et c’est comme cet instant avant la mort où le corps libère une énorme dose d’endorphine pour supporter la douleur, les gens à la frontière de la mort sont emplis d’une sorte de plénitude, à ce qu’il parait, ils acceptent leur sort et se préparent à la suite, peut-être que ça n’arrive pas à tout le monde, par exemple ça n’arrive pas à Dizzy dans Starship Troopers, et j’aurais vraiment pas aimé être à sa place. Plus que deux minutes, les deux minutes les plus bizarres du disque, on dirait que c’est une autre histoire qui commence, c’est peur-être pour donner envie d’écouter leurs autres enregistrements je sais pas, des sons industriels, on se croirait dans une usine, ah mais oui bien sûr, c’est les travaux de reconstruction de notre ville martienne de tout à l’heure, des scies, des grues, des lasers, ça s’active, toutes ces petites fourmis martiennes intelligentes, le Petit Peuple de Mars, comme dans cet épisode incroyable d’Au Delà du Réel, que j’aimerais bien revoir un de ces quatre, d’ailleurs. Bref. Le disque finit brusquement en pleins travaux. On ne connaitra pas la suite.