Le matin j’aime bien écouter les vieux disques auxquels je suis attaché. Là j’ai mis Painful de Yo La Tengo. C’est pas mon préféré mais il est magnifique. Surtout le début, les premières secondes, tellement calmes et c’est Ira qui pose sa voix sur ce tapis moelleux d’orgue et de larsens/chants de baleine : “Let’s be undecided/Let’s take our time/And sooner or later/We will know our mind”. C’est le calme avant la tempête parce que comme le dit le refrain, “there’s a big day coming/I can hardly wait”. C’est une des meilleurs illustrations sonores que je connaisse d’une matinée d’été au bord de la plage, un lendemain de fête, les sacs de couchage en étoile autour des dernières braises du feu de camp, des cadavres de bouteille enfoncés dans le sable un peu partout comme des obus qui n’auraient pas explosé et les couples à peine formés qui s’embrassent comme ils l’ont fait toute la nuit vu qu’il n’ont pas dormi mais on les comprend. C’est l’heure où la fille sérieuse qui s’est levée un peu plus tôt revient avec les croissants et quelques bières et OH miracle un paquet de clopes tout neuf. Un matin qui précède une journée épuisante parce que prendre du bon temps c’est parfois épuisant mais c’est pour ça qu’on existe et certainement pas pour travailler de 9h à 18h tous les jours.
La chanson suivante est un peu plus énergique batterie qui claque, pédale fuzz enclenchée, on dirait une version plus rock’n’roll de My Bloody Valentine. Je crois que ça raconte l’histoire d’une fille qui a le coeur brisé et qui décide de partir en bagnole et de rouler encore et encore elle disparait et le gars qui chante essaie de lui parler lui demande où elle est, et si il peut la rejoindre, parce qu’il l’aime et il voudrait la consoler ou un truc comme ça. C’est une chanson de voiture et de télévision. C’est les accords de Louie Louie à peu près surtout le refrain, parce que pendant le couplet la séquence est amputée d’un accord. Disons que c’est les deux tiers de Louie Louie. Avec de la Big Muff sur la basse et pas du tout le même rythme. Ok ça n’a rien à voir avec Louie Louie. N’empêche que cette chanson est proche d’une certaine forme de perfection. Tout coule, tout va de soi, une chanson d’autoroute sans embouteillage un peu triste mais le genre de tristesse passagère qui fait du bien en fait.
Double dare ensuite. Je sais pas trop comment ils font pour jouer une musique aussi saturée et aussi sereine en même temps, un peu comme My Bloody Valentine encore une fois. Une bonne chanson en tout cas, même si je comprends rien aux paroles. Une sorte de triangle amoureux c’est ça? J’en sais rien, on s’en fout un peu, je préfère écouter la musique, avec ses super riffs de jazzmaster, son shaker qui fait shkshkshkshkshkshkshkshkshkshks et tout le reste, l’orgue, la batterie mixée légèrement en retrait, comme si le rythme était moins important, comme si on était un peu dans le brouillard. On en fait plus des chansons comme ça aujourd’hui, et pourtant il y en avait des pleines brouettes dans les années 90. Mais que s’est-il passé entre temps? Est-ce que c’est la faute de la musique électronique, ou des Strokes et des Libertines? Pourquoi c’est si rare aujourd’hui un groupe de rock qui fait une bonne chanson qui prend aux tripes, qui donne envie de pleurer ou de partir bouder dans sa chambre ou de prendre sa voiture et rouler très vite n’importe où? Mh. Mystère.
Ensuite un truc instrumental très court puis encore un tube : Nowhere Near. Un tube atmosphérique, un orgue moelleux, une basse claquante et quelques notes pures cristallines de guitare twang, avec juste ce qu’il faut de tremolo. C’est une chanson d’amour et c’est Georgia qui chante. Une chanson d’amour qui me parle, parce que c’est le genre de truc pourri où t’es secrètement amoureux et la personne en question ne se doute absolument de rien et t’es bien trop timide pour faire quoi que ce soit en plus tu te dis que t’as aucune chance qu’à tous les coups tu vas te faire rembarrer alors à quoi bon vaut mieux rester amoureux en silence et avoir une crise cardiaque à chaque fois qu’elle te parle à chaque fois qu’elle te regarde en souriant à chaque fois que sa main effleure la tienne et tant pis si tu deviens un peu bizarre en sa présence si tu dis des choses bizarres et même un peu inquiétantes. C’est la pire douleur qui soit (Painful, hein…) surtout quand elle se trouve un mec qui, dans 99% des cas, est un vrai tocard, sa seule qualité c’est d’être assez con pour tenter sa chance avec les filles sans se poser de question, et évidemment comme les garçons qui osent sont assez peu nombreux, les filles ne ratent pas une occasion, et ne sont pas trop regardantes sur la marchandise. De toute façon faut pas se mentir, les filles dont on a été amoureux ne sont pas toutes des lumières, c’est pas parce qu’elles sont d’une beauté aveuglante qu’elles ont zéro défaut. Elle peuvent tout à fait être bêtes comme leurs pieds. Ça ne nous empêche pas d’être amoureux, on s’en rend même pas compte, voire pire, on se persuade du contraire, la moindre manifestation d’intelligence se transforme en preuve de supériorité intellectuelle. Hé. C’est pas parce qu’elle écoute No Doubt alors que les autres filles n’ont aucun CD ou à la limite celui des Spice Girls que ça fait d’elle une fille intelligente ou cool. C’est juste un heureux hasard, au mieux la preuve qu’elle est légèrement mieux que ses copines. Ce qui ne veut rien dire étant donné le niveau des copines. Mais peu importe. L’amour, ça rend aveugle, et ça fait mal. Et parfois c’est insupportable, c’est plus puissant, plus intense, que n’importe quelle scène déchirante de n’importe quel film y compris celles avec de la musique qui fait pleurer en fond sonore. J’ai déjà vécu des moments bien plus intenses que la scène du Titanic quand Rose et Jack sont à la proue du bateau et se prennent pour des oiseaux en écoutant Céline Dion. Et pourtant moi j’avais pas Céline Dion! (Pas toujours).
Ensuite la chanson s’appelle Sudden Organ. Il y a un orgue qui bourdonne, un rythme à base de toms et une basse fuzzzée qui joue trois notes. C’est Ira qui chante et il raconte des trucs. Il demande : “est-ce que tu vas regarder quand le dernier rideau va tomber, tout le monde a un peu peur et moi aussi, mais j’en ai marre d’attendre, alors je vais prendre les choses en mains et lui tirer dans le dos avec un fusil” (c’est une métaphore je crois). Je comprends pas grand chose ce sont des paroles assez cryptiques. Mais quand c’est comme ça, je crois que je l’ai déjà dit, il vaut mieux laisser parler la musique, elle a des choses à dire et ça, pas besoin d’être un génie pour comprendre, ça s’adresse à une partie du cerveau qu’on possède tous il suffit de se détendre, de se laisser aller. Ca vient tout seul. Tiens en bas de chez moi il y a un fish spa, c’est ce truc où tu laisses des petits poissons manger tes peaux mortes. J’ai des frissons rien que d’y penser mais il parait que ça ne fait pas mal. Je me demande si la SPA est au courant de ce genre de pratique, et ce qu’ils en pensent. Et puis, est-ce que ces poissons sont nourris ou est-ce que les peaux mortes leur suffisent? Non mais les pauvres. Bref. Je pense à ça parce qu’il parait que c’est un moment de détente. Dans quel monde vit-on. Enfin bon. Ils pourraient en profiter pour passer de la musique un peu exigeante, pour faire d’une pierre deux coups mais non. Ces déglingos ils passent de la tech house de boite de nuit, et vachement fort en plus, j’entends depuis la fenêtre en été et c’est tout simplement insupportable. Alors que Yo La Tengo, c’est parfait.
La chanson suivante est pleine de guitares claquantes, de toms, de shaker, c’est presque une berceuse, Ira chante tout doucement encore plus bas que d’habitude. Il y a un vers qui dit “Does it make sense to you, gettin old, living life, 22”. J’aime bien et pour moi la réponse est non. Ensuite il dit “Let’s go far away, let’s leave today”. Et OUI là je dis OUI. Mais avant faut que je finisse mes devoirs. Bref. Une nouvelle nuance ; cet album est une palette de couleurs pastel.
Ha ensuite c’est l’heure du rock’n’roll les distos sont enclenchées le riff est plus evil et les paroles deviennent répétitives : “I was the fool beside you” répété des milliers de fois et puis Ira précise à toute fin utile : “For too long”. C’est leur chanson punk Ira chante comme un punk. Non c’est pas vrai. C’est leur chanson Spacemen 3 mais à la différence des autres, eux ne parlent pas de drogues ils parlent de rapports humain, de gens qui s’excusent, de gens qui sont amoureux, de gens qui sont pas heureux et qui veulent partir, il parlent des ados quoi et ça tombe bien parce que je suis un ado. C’est sûrement pour ça que je suis amoureux de Yo La Tengo. Enfin, amoureux à ma façon. Mais bref. Quel bon groupe.
Une autre berceuse ensuite mais celle là c’est une vraie. Une berceuse aquatique, avec beaucoup de reverbe sur les percutions, des percutions étranges d’ailleurs. Ira et Georgia chantent en choeur : “Well, I used to have the notion I could swim the lenght of the ocean / If I knew that you were waiting for me”. C’est fou comme ce disque semble parler en mon nom j’aurais pu écrire toutes ces paroles et en même temps je sais bien que j’étais juste un ado de banlieue pavillonnaire chiante à mourir comme les autres ou à peu près donc c’est pas étonnant. Bon c’est vrai qu’aujourd’hui je suis plus tout à fait un ado. Mais quand j’écoute ces chansons, plein de souvenirs ressurgissent et j’ai 15 ans ou 18 ans à nouveau et c’est exactement pareil. D’ailleurs Ira Et Georgia n’étaient plus vraiment ados quand ils ont écrit ces chansons j’imagine. C’est pas grave. C’est un truc qui dure toute la vie. Mais je remercie quand même le Grand architecte de l’Univers d’avoir mis ce disque entre mes mains à une époque où c’était vraiment important pour moi. Ca ne m’a pas aidé au contraire mais bon, il n’y a pas d’obligation au bonheur dans le code civil que je sache, si j’aime être malheureux c’est mon choix.
Le morceau suivant est une reprise de Big Day Coming, qui ouvrait l’album, sauf que cette fois c’est du motorik. Encore de la musique de bagnole qui trace qui trace qui trace avec des trucs qui bourdonnent et qui pulsent tremolo à donf et riff de guitare mécanique répétitif hypnotique c’est un aspect de Yo La Tengo que j’aime bien et qu’on retrouvera un peu sur les albums suivants, c’est un de leur gimmicks quoi. Par exemple sur I Can Hear The Heart Beating As One il y a un superbe instrumental dans ce style qui dure une plombe mais vraiment bien, et puis la reprise de My Little Honda des Beach Boys qui est l’archétype de ce genre de musique, la musique de bagnole. Et je tiens à dire aussi que l’ouverture dudit I can Hear The Heart me rappelle furieusement “Autobahn” de Kraftwerk. Yo la Tengo et la musique de bagnole, une grande histoire donc. Et il y a pas de mal à ça, c’est vrai quoi, j’ai beau être un peu écolo sur les bords, j’aime les voitures, j’aime certaines utilisations de la voiture, les longs voyages, le fait qu’on peut aller où on veut quand on veut, les excursions au pays basque sur un coup de tête, les après midi à Saint Emilion, tout ça. Mais par contre, la migration pendulaire, les bouchons matin et soir, les mauvaises émissions de radio, non, ça, j’ai pratiqué, et ça me dégoute, ça me fait vomir, ça me dégoute de la voiture en fait. Je sais bien que les gens n’ont pas le choix, mais j’ai pas dit que j’en voulais aux conducteurs, non même si les bouchons ça rend les gens stupides et désagréables. Non j’en veux au modèle de développement qui a été mis en place dans les années 50, j’en veux à l’étalement urbain, et voilà quoi. Et j’en veux aux industriels qui depuis le temps auraient pu se lancer sérieusement dans la construction de voitures hybrides. Mais non, ces crétins ils vont investir des sommes colossales pour pomper les dernières gouttes de pétrole à des miliers de kilomètres sous la banquise. RAH.
L’album se termine par un instrumental, encore un mais les chansons sans parole des Yo La Tengo sont toujours hyper bien. Celle-ci est mélancolique et euphorique en même temps, un peu comme un truc de bruce Springsteen version alt rock des années 90. C’est la ligne de basse qui fait tout et j’en profite pour rendre hommage à James McNew qui venait juste d’intégrer le groupe à l’époque. Il est cool, je l’aime bien. Je les aime tous les trois. J’aime le fait qu’ils jouent uniquement des choses que je serais capable de jouer à la guitare et à la basse. Ou presque. C’est rassurant, et leur chansons n’en sont que meilleures parce qu’il faut être sacrément doué pour écrire des chansons géniales aux arrangements aussi simples. Le miracle du rock indé des années 90. Bref. Un disque parfait, oui. C’est comme si il était déjà là depuis toujours et que Yo La Tengo s’était contenté de le cueillir. Hop. La musique, les thèmes abordés, l’attitude du groupe, le son, tout est parfaitement équilibré, c’est d’une cohérence qui force le respect. Rien à dire à part CHAPEAU. Voilà. La prochaine fois que vous allez à la plage, laissez reposer vos disques de Beach House et de Best Coast et écoutez plutôt Painful. C’est tout à plus.