Killing Joke – MMXII (MMXII)

Ca commence par une éruption solaire. Projection de plasma, bombardement de neutrons, la Terre est touchée. Le champ magnétique devient fou, les pôles sont inversés, les animaux désorientés se suicident en masse, les avions se crashent, l’économie flambe, il y a des affrontements, qui se transforment en guerres, des champignons atomiques poussent un peu partout. Voilà. Le monde, année MMXII. Année zéro. C’est la même chose. La ruine, la pollution, le retour au désert, Mad Max. Le rêve de tous les freaks, les désespérés, les marginaux, les désaxés d’aujourd’hui. Eh bien j’ai le plaisir de vous annoncer que Killing Joke a réalisé pour vous ce fantasme absolu. A coup de gros riffs de guitare, de hurlements gutturaux, de fracassage de batterie, ces gars viennent de raser entièrement le monde tel que nous le connaissions. C’est bon. Maintenant l’homme est à nouveau un loup pour l’homme, fini le contrat social, finis la civilisation, le coca cola, les ipad, le pq avec des imprimés rigolos, les protège slips parfumés, le tennis, les soirées étudiantes. Bonjour la vie précaire, la vie nomade, la cueillette, les camps retranchés, les barbelés, bonjour la faim, bonjour la peur, bonjour la liberté, bonjour l’euphorie, bonjour la joie. 

Je déconne pas, ceci est un disque post-apocalyptique comme on en a pas fait beaucoup dans l’histoire de la musique. Il est brutal, sans temps morts ou presque, futuriste, synthétique, mais il dégage un truc très positif et très fort en même temps. Les Killing Joke c’est pas des chochottes. Leur conception de la bonne vie est aussi brutale que raffinée. Encore un disque politique, oui, mais politique au sens noble, le fameux politique au masculin, pas cette politique, version féminine, vulgaire, hideuse, faite de stratégie, de coups bas, d’hypocrisie. Voilà. 

Musicalement, c’est très simple à décrire. C’est du punk ultra massif. La batterie déroule une autoroute pendant cinq minutes, sur laquelle viennent se poser d’innombrables couches de guitare saturée jouant des riffs simples et méchants, simples et pas funky, des riffs coup de poing, hargneux pendant les couplets, euphoriques pendant les refrains. Jazz Coleman chante comme un punk gonflé aux hormones, très simplement, sans chichis, sans vibrato débile, un chant primitif, qui se transforme en cri préhistorique quand c’est nécessaire, sur les refrains, ou pour appuyer certains passages. Il y a aussi du synthé, le synthé des années 80, le synthé de leur jeunesse, un synthé avec marqué Korg dessus certainement, mais très discret la plupart du temps, juste ce qu’il faut. Le tout me fait parfois penser à un croisement entre The Cure et Motörhead. C’est surtout un super album de punk ultra heavy, et ultra bon. Une réussite. 

Comme d’habitude je capte pas grand chose aux paroles mais je pense pas qu’elles soient si importantes que ça. Mais a priori les thèmes abordés ne sont pas de nature à intéresser un électeur de l’UMP. Si tu vois ce que je veux dire. Hein. Encore une bande d’anarchistes tiens, c’est fou. Jazz habite une partie de l’année dans une ferme isolée, en Nouvelle Zélande, pas loin de la mer. Il possède très peu d’objets, n’écoute pas beaucoup de musique. Ex-alcoolique devenu sobre, amateur de cigares et de marijuana. Et de baston, jusqu’à peu. 

Ma chanson préférée sur ce disque, c’est In Cythera. C’est soi disant une chanson d’amour. C’est surtout très nostalgique. Cythère, c’est l’île grecque sur laquelle est née Aphrodite, où tout n’est que luxe calme et volupté, tu vois le genre. Une île trop cool, lieu de pèlerinage, très dure à quitter, et pourtant il le faut bien. Une chanson très très belle et très efficace. C’est le havre de paix de cet album, le seul morceau qui repose sur une belle nappe de synthé qui bourdonne, un tapis moelleux. On respire, on se repose en regardant la mer. Le clip est pas mal aussi. Le refrain est énorme, il donne envie de sauter dans tous les sens, évidemment. Comme toutes les autres. C’est de la musique de stade, bien sûr. On imagine pas trop le groupe jouer ça au Saint Ex ou autre cave équivalente. C’est un zénith qu’il faut à ces vieux briscards pour déployer toute leur puissance de feu. Surtout, il faut jouer ça devant des milliers de fans déchainés. Ils sont en concert bientôt, c’est à deux heures de chez moi en voiture, mais je pense que ça vaut le coup. Bref. 

Après In Cythera, il y a un truc lugubre, carrément gothique. C’est toujours punk nucléaire, mais avec un riff sinistre, presque doom, et ça marche plutôt pas mal. Le morceau suivant démarre de manière plus lumineuse mais vire au Motörhead assez rapidement. Jazz prend une voix grasse et éraillée à la Lemmy. C’est cool, c’est metal. Ce disque sonne un peu metal quand même. C’est un croisement de metal et de punk qui n’a pas grand chose à voir quand même avec les précédentes tentatives de fusionner les deux. 

Je me sens un peu frustré de ne rien comprendre aux paroles, je ferai peut-être une mise à jour de ce billet quand je les aurai trouvées. On va faire sans en attendant. Parlons de la pochette plutôt. Je la trouve très laide, mais c’est pas grave. Un désert, une usine qui vomit de la fumée noire, un crâne de profil, et un mécanisme que je n’arrive pas à identifier. Le titre de l’album, MMXII, est indiqué en gros en bas de l’image, comme si c’était la légende. Illustration d’un livre d’Histoire de l’an 3000 ou 4000. Regardez les enfants, ce que vos ancêtres ont fait de leur planète. Ils l’ont consciemment pillée, dévastée, stérilisée, obligeant leur descendance à s’enfuir le plus rapidement possible à bord de vaisseaux titanesques construits avec les dernières ressources disponibles. Cette illustration est un peu ringarde, démonstration trop appuyée, mais après tout, c’est l’époque qui veut ça. C’est l’époque qui est laide, même si nous, habitants d’une des premières puissances mondiales, encore à l’abri des attaques conjointes des marchés et du FMI, nous n’avons pas encore le nez dans le purin. Ça va venir, vous verrez. Ça ne sera pas aussi radical que ce que ce disque suggère. Le monde réel est beaucoup plus nuancé que la fiction, c’est ça qui le rend très chiant d’ailleurs. Mais vous verrez. Appauvrissement brutal, retombées du changement climatique, sans parler du contre-coup de l’absorption de la Culture par l’économie de marché. C’est moche ce qui nous attend, et très prometteur en même temps, de plus en plus de trous de gruyère à combler, de vide à occuper. Une occasion rare dans l’Histoire de nous emparer de notre destin et de le façonner selon notre désir. Pas de quoi parler de progrès, c’est juste un retour au point de départ, c’est juste remettre les compteurs à zéro, refaire un tour de grande roue. Moi ça me plait bien parce que je trouve notre monde très laid, complètement déconnecté de la Nature, physiquement, intellectuellement, spirituellement. Bref. Ce disque est une arme de destruction massive qui dézingue tout ce que le monde contemporain a pu produire de constructions matérielles et philosophiques reposant sur du vent, il explose la téléréalité, il explose Paris Hilton, il explose la vidéo surveillance, les institutions financières internationales, Pitchfork, Barak Obama, les libertés formelles, les chaines d’info en continu, les Rolex, Hollywood, il fait pas de cadeaux, pas de pitié pour les forces réactionnaires, Killing Joke c’est la pulsion de vie transformée en bulldozer pour les oreilles, et moi ça me plait beaucoup. Voilà c’est tout à plus.