Salut les nuls. Il y a un groupe que j’aime beaucoup à Bordeaux, c’est Year Of No Light. C’est un des premiers groupes, et un des rares aussi, à avoir fait ce genre de métal post moderne pour hipster cultivé que j’aime bien. Mais ne vous méprenez pas. C’est de la musique très directe, s’adressant autant aux tripes qu’au cerveau, qui plait tout aussi bien au mec à chemise à carreaux qu’au trve metalhead à queue de cheval, cuir et rangers. Enfin, je crois. Cette bande de jeunes a pas mal évolué. Quand je les ai connus, ils avaient le chanteur d’Adam Kesher, Julien Perez, et sur les webzines on les qualifiait de “The Cure playing sludge”. Ça me rappelait surtout beaucoup les groupes à la mode de l’époque comme Isis ou Cult Of Luna. Mais ils étaient déjà très intéressants, c’était carré, les mélodies étaient bien, assez emo, et puis sur scène ça bougeait bien. Ce Julien Perez, un sacré frontman, quoi qu’on pense de lui par ailleurs. Aujourd’hui, Year Of No Light n’a plus de chanteur, par contre il y a un batteur et un guitariste supplémentaires. Oui, deux batteurs et trois guitaristes. Une machine de guerre, forcément. Il faut préciser que le nouveau guitariste, c’est Shiran, le moustachu au look trop cool de Monarch! et Gasmask Terror. D’ailleurs chaque membre du gang ou presque joue dans un autre groupe que j’aime bien : Altaïr Temple, Aeroflôt, Baron Oufo, Monarch… Je ne parlerai pas de consanguinité, je ne me permettrais pas ; je me réjouis qu’il y ait autant de groupes cool à Bordeaux. Bref. Une longue introduction mal construite qui sert pas à grand chose, j’ai l’impression d’être en première année à la fac. Parlons de la musique plutôt.
Ca commence avec des sons d’ambiance métalliques, cristalins. On dirait des cordes de sitars qui résonnent. Un petit côté oriental. Quelques pistes de guitare saturée rentrent lentement. Accords ni joyeux ni tristes, plutôt mystérieux. Qui vont très bien avec la pochette du disque. La lumière au bout du tunnel est rallumée on dirait!! Et puis forcément, ça monte ça monte et on finit par sortir et voilà. Le monde extérieur. Plein de trucs qu’on n’a jamais vu, plein de trucs de fou à voir, à sentir, à toucher, à manger, à boire, à penser, à baiser aussi pourquoi pas, à combattre, à aimer. L’histoire de la vie. Cette musique évoque la naissance, comme cette pochette qui me fait définitivement penser à un bassin féminin grand ouvert pour accoucher. Non je vous jure, avec ce trou au milieu… Bref. Je trouve cette musique extrêmement cinématographique, je sais, en général j’aime pas lire cet adjectif dans une critique de disque. Ca veut pas toujours dire grand chose, c’est un raccourci facile. Mais en ce qui concerne cet album, j’ai pas trop le choix, c’est flagrant. De la musique qui évoque des paysages, qu’ils soient physiques, ou mentaux. De vastes paysages, parce que ce qui sort des hauts parleurs est totalement épique, les deux batteries jouent à l’unisson des rythmes primitifs, pleins de roulements de toms, la basse et les guitares rythmiques envoient des murs de riffs massifs comme des chars d’assaut, tandis qu’une autre guitare joue un thème mélancolique noyé dans une mixture d’effets combinant saturation, réverbération, écho… La musique, de manière générale, semble noyée dans la réverb ; c’est brumeux, les contours sont flous, incertains, comme un mythe transmis de génération en génération depuis des millénaires. Le côté vaguement oriental des premières secondes du disque prend une autre dimension maintenant, il permet de rattacher ce morceau, dans ma tête au moins, à certains trucs comme le livre des morts tibétains… Voilà j’ai décidé que c’était du métal bouddhiste. La fin est d’ailleurs un nouveau commencement, de longs voiles bourdonnants, des fils sonores qui se déroulent encore et encore, en ondulant, en serpentant lentement, plus rien de solide, c’est de la musique gazeuse, informe, ce sont les limbes, le chikhai bardo. Bon oui, il faut ajouter que Perséphone, le nom de cette suite qui constitue la première moitié de l’album, renvoie à la mythologie grecque, c’est la fille de Zeus et de Déméter, élevée dans la forêt, enlevée par son oncle Hadès qui en fait la reine des Enfers, et qui revient six mois par an sur terre, dans le bois d’Enna, se faisant alors appeler Corré, pour aider sa mère. Automne/Hivers, Printemps/Été, et on recommence… Tiens tiens. Encore un cycle. En philosophie/religion, les humains n’ont pas inventé grand chose, une poignée d’idées recyclées et combinées à l’infini.
Bref la vie n’est qu’une grande roue et elle finit toujours par revenir au point de départ. La deuxième partie de Perséphone est bien plus martiale. Moins rêveuse, moins poétique, ou alors si, mais un long poème épique, un poème guerrier, qui raconte des histoires d’affrontements entre dieux, aux premiers temps de la Terre. C’est une image bien sûr. Ces mythes, ils sortent de notre imagination, ce sont des désirs et des peurs extériorisés. La démesure des légendes de l’antiquité fait écho à la violence sans limite dont sait faire preuve l’esprit humain. Le combat contre soi même pour sortir du lit, un lendemain de cuite, peut être au moins aussi épique que le combat de Cronos contre son père Ouranos. Ça peut vous faire marrer mais par contre si je vous parle de situations extrêmes comme le deuil, la passion, la mort, vous conviendrez que ce qui se passe en nous égale largement en intensité la plus gigantesque des bastons de titans. Donc cette musique, pleine de gros riffs de guitares sous accordées, de tambours préhistoriques, et dominée par ces stacattos de guitares mélodiques qui me font penser à des oiseaux mythiques survolant un champ de bataille, cette musique là est universelle. Et ça, c’est assez fort. Elle fait le pont entre l’histoire de l’humanité et ce qui se passe dans ma tête, elle me donne l’impression de faire partie d’un Tout, mais aussi d’être un Tout, un univers à moi tout seul. C’est sauvage et beau en même temps, et suffisamment exotique pour ne pas me faire penser à un autre groupe, au détour d’un riff ou d’un thème mélodique. Non, pendant que j’écoute ce disque, je n’écoute plus de la musique, j’écoute LA musique. Un truc sorti du fond des âges. C’est assez flippant/surnaturel quand j’y pense. Et vous voyez, je ne m’en rends compte que maintenant, alors que je mets mes réflexions par écrit. Ça donne le vertige parfois de trop réfléchir quand on écoute de la musique!!! Mais c’est bien.
La suite. Après Perséphone, voici le Hiérophante. Ici les guitares rythmiques ne sont plus des chars d’assaut, ce sont des rouleaux compresseurs qui écrabouillent la boite crânienne. Ça déconne pas! Le Hiérophante, c’était un ministre du culte des mystères d’Éleusis. Je me suis renseigné un peu, c’est intéressant. C’était celui qui possédait et divulgait la Vérité Divine, lors de ce rituel de 9 jours rendant hommage à la déesse Déméter, la mère de Perséphone. Elle avait été très bien accueillie par la cité d’Éleusis, lorsqu’elle était à la recherche de sa fille enlevée par Hadès. Pour remercier ses habitants, elle leur a révélé le secret de l’agriculture et du cycle des saisons. Les Mystères, c’était le rituel de transmission de ces secrets, on y sacrifiait un cochon, on récitait sans doute des trucs, vous voyez le genre. On raconte aussi que cette cérémonie était l’occasion de se défoncer au blé fermenté ou contaminé par l’ergot de seigle. Des hippies de l’antiquité quoi, mais pourquoi pas. Déméter et Perséphone auraient été représentées accompagnées d’épis de blé à ergot de seigle durant l’Antiquité. Tout ça donne à réfléchir et je ne voudrais pas vous assommer. Ayez tout ça en tête quand même, quand vous écouterez ce disque. Bref. Pour en revenir à la musique, que dire de plus? Ce morceau est plus violent que les deux premiers. Il y a une explosion incroyable dans la seconde moitié, une déflagration mégatonnique digne des grandes heures de la course à l’armement. Ça débouche les oreilles mais on est très loin de l’agression pure. On jurerait entendre des coups de double pédale, en tout cas les batteries sont déchainées, mais par dessus c’est une fois de plus d’une grande richesse mélodique, il y a là des trouvailles très raffinées. Imaginez un croisement entre du post rock et du black métal, avec une sensibilité romantique, wagnérienne. C’est pas tous les jours qu’on entend ça. Vraiment très réussi.
Dernier morceau, Abbesse. Batteries lentes qui bastonnent, basse/guitares rythmiques qui compressent les tympans, guitare solo qui planne au dessus, qui élève, qui fait flotter. Encore la même formule, mais attention, il n’y a pas de redite. L’écriture, c’est la clé. C’est très bien écrit. Ce disque raconte des choses et ne se répète pas. La diversité dans l’unité. Cette fois, après la déesse et le prêtre, on nous parle d’abbesse, oui, la suppérieure de l’abbaye. C’est très religieux tout ça. Et d’ailleurs, je commence à me poser une question. Pourquoi je tombe sans arrêt sur des disques qui parlent de ça? Ça vient de moi, ou est-ce que les musiciens sont tous obsédés par la religion? D’un certain côté, ça ne serait pas étonnant, sachant que la musique a d’abord été utilisée dans un contexte sacré. Alors bon. Oui je devrais mener l’enquête. Ah oui et sinon, cette fois je rêve pas, c’est de la double pédale, c’est totalement black métal!! Ca va à fond la caisse, avec toujours cette guitare aigüe qui flotte au dessus, belle comme un ange qui plane au dessus de la misère humaine. Belle comme une abbaye perchée au sommet d’une montagne. Ce qu’il y a de beau dans cette musique, c’est le détachement. Contrairement par exemple à High On Fire, qui nous chope de force pour nous entraîner dans la baston, Year Of No Light offre un échappatoire. On peut certes choisir de se focaliser sur la violence des riffs de guitare, mais ce serait passer à côté du disque, fait de subtilités, de légèreté, de contraste. Un regard détaché, distancié, sur la notion de violence dans la musique. D’ailleurs, c’est pas si heavy que ça. Pour moi, le son de ce disque n’a rien à voir avec les standards de graisse et de lourdeur pratiqués habituellement dans ce style de musique. Ce qui veut peut-être dire que Year Of No Light n’a rien à voir avec les bouchers auxquels on les compare d’habitude! Oui, en y réfléchissant, je me rends compte que c’est un groupe bien plus singulier que je ne l’imaginais. Les batteries aussi ont un son marrant, assez travaillé, qui rappelle presque les années 80. Bon concernant les guitares, qu’il n’y ait pas de malentendu, c’est quand même bien couillu, il y a notamment un passage dans ce dernier morceau où le tempo est ralenti au max et où les guitares bourdonnent à la limite du feedback, on se croirait dans un disque de Monarch… mais comment dire… C’est une texture de son qu’on n’a pas l’habitude d’entendre. C’est lourd et gras mais pas baveux, bien défini, à mi chemin entre la chaleur vintage et le son tranchant du métal d’aujourd’hui, ce qui autorise toutes les subtilités. Un son qui n’est pas chargé outre mesure dans les basses fréquences contrairement au lot commun des groupes de hippies sataniques. Chapeau au mec qui a enregistré ça quoi. Bon par moments je regrette que les batteries ne claquent pas un peu plus mais j’imagine que c’est voulu. C’est pas de la dance music, c’est pas du dance metal, c’est aussi dansant que des tambours de guerre quoi. Et je ne ressens que modérément l’envie de secouer la tête. Franchement, je trouve que cette musique s’apprécie bien plus assis voire allongé que debout. D’ailleurs la dernière fois que je les ai vus, c’était un ciné concert, on était assis, et c’était top.
Bon voilà. Écoutez ce disque de métal wagnérien d’une traite, sans rien faire d’autre, bien installé dans un fauteuil moelleux, avec un peu de weed de préférence, vous verrez, c’est chouette. Et enchainez avec Altaïr Temple, le groupe drone de Johan le bassiste, si vous n’avez pas envie de redescendre trop vite. Allez voir mon billet sur le split Altaïr Temple/Expo ‘70! C’est tout pour aujourd’hui les enfants. À plus.