Ronron industriel, deux morceaux, un peu plus d’une demi heure. Si tu ne vois pas ce qu’il peut y avoir de séduisant à passer trente minutes dans la salle des machines du Titanic, par 70°C, un vacarme assourdissant, de la suie plein les bronches, la transpiration qui fermente sous les aisselles, alors il est probable que ce disque ne te plaise pas, mais c’est pas certain non plus, faut voir quoi. En tout cas c’est répétitif. Il y a un ronron-basse, un ronron-aigus qui ressemble à un concert de bulles, un sifflement strident aussi, et tout ça vit sous nos yeux, enfin sous nos oreilles, il y a des luttes de pouvoir, chaque élément cherche à prendre l’avantage, le rapport de force évolue lentement. Globalement, ça se calme, petit à petit, et la réverbération devient de plus en plus profonde, comme si on sortait de la salle des machines, pour arriver dans les cales vidées du bateau. Ou dans une grotte. C’est marrant en tout cas de comparer ça au disque chroniqué précédemment, parce qu’à première vue, c’est du bruit dans les deux cas, et pourtant, rien à voir, rien de plus différent. Rien d’agressif ici, rien qui suggère la destruction ou même l’anormalité. Le bruit, c’est une composante de nos vies, des choses très bien font du bruit, pas que des explosions et des massacres etc… Les trucs de notre quotidien, les machines, moteurs, outils, et puis les bruits de la nature, le tonnerre, les éruptions volcaniques, le vent qui s’engouffre dans les arbres… Il faut l’accepter. C’est très joli. Ce disque est chouette. Sous l’apparence d’un mur de bruit blanc se cache quelque chose d’aussi élégant et subtil qu’une toile abstraite. La différence? Je sais pas trop. Une toile, on la pose éventuellement sur un mur de son salon, mais si on ne se tourne pas vers elle, elle ne vient pas s’imposer à nous. Elle reste inoffensive. Tandis qu’un disque comme celui là, il faut s’y soumettre pendant 30 minutes, accepter de perdre le contrôle. Quelque chose que tous les prétendus amateurs d’art décomposé, d’art abstrait, d’avant garde, ne sont pas prêts à accepter.
La deuxième partie est moins envahissante, un son d’alarme tellement grave qu’on jurerait pouvoir toucher chaque crête de sa forme d’onde, noyé dans la même réverbération caverneuse, accompagné de divers sifflement, buzz, ressacs électroniques, grillons mécaniques. Des objets solides qui flottent dans un environnement liquide ou gazeux. Des pépiements d’oiseaux, des vagues. Une sorte d’océan intérieur colonisé par des centaines d’espèces d’animaux mécaniques. C’est la vie artificielle qui reprend sa liberté, retourne à l’état sauvage, primitif, et recommence à zéro, sur de nouvelles bases, libérée du joug des humains. Pas une seule trace d’humanité dans cette musique, enfin si, bien sûr, il y a un deus ex machina, mais ce qu’il nous raconte là, c’est une histoire 100% inorganique, post-organique, et on peut se sentir terriblement étranger à tout ça, ça peut même faire peur, de se sentir seul, le dernier humain sur Terre, le seul dans cette grotte, le seul au milieu de cet océan digital, entouré d’animaux robots faits de fer et de silicium, d’un peu de cuivre pour les circuits, des trucs de ce style. Rendez-vous tout seul avec Rama. Moi j’aime bien être seul, de temps en temps, ça fait réfléchir. Voilà. C’est tout ce que j’avais à dire. Salut à plus.
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C’est sorti chez Spectrum Spools, subdivision des Éditions Mego gérée par John Eliott, de Emeralds, qui a d’ailleurs des choses intéressantes à raconter sur ce disque :
“Elemental Disgrace” is an album that needs to happen now. Finally, the next phase has arrived – a stunning double side-long record of some of the U.S. best underground synthesizer music we have heard here at the Spectrum Spools headquarters.
Whatever rise to the synthesizer came later on in the 00’s is hardly of any concern to Greh Holger and his Hive Mind project. Having released private press cassettes of solo synth works as far back as 2002, Hive Mind exists as enigmatic in world of new-jack synthheads and the tidal wave of “neo kosmische” that goes with it by flying far under it’s radar.
The silence is now broken and here we are treated to some of the most unique sounds Spectrum Spools has yet presented. No blisscapes to be found here. No soaring latched arpeggios, no cosmic vistas. Not a single melody. This is two sides of ancestral ruin in its clearest and most focused presentation. The brutality of the Earth and the harsh reality of all that it holds. Unknowable sounds – that of the dawn of the Earth, or perhaps the sound of its demise. A toxic swamp of chemicals and mutated organisms left behind long after man has wiped himself away for good. Field recordings from the end of the world.
While others are racing for the stars, Hive Mind’s tetonic plate shifting and brutal rumble will give you a brand new way to look at modern synthesizer composition. With a focus on textural sounds and shifting frequency registers, this album gives the listener the a full range of listening possibilities with infinite replay value.
It’s worth noting that Spectrum Spools as a label would not exist without Hive Mind. An inspiration and a pioneer in the modern U.S. synthesizer circuit, it’s with pleasure and honor to release “Elemental Disgrace” into the world.