Salut ces derniers temps j’ai vaguement pensé à écrire un bouquin sur Nurse With Wound, je sais pas exactement pourquoi, disons que de tous les groupes que je connais, c’est celui qui m’a le plus semblé digne d’un tel honneur ou plutôt d’un tel effort. Oui parce qu’écrire un livre, j’ai jamais essayé, mais je suppose que c’est assez long, pénible, fatigant, à moins de s’appeler Philip K. Dick ou Jack Kerouak. Bref. Du coup je réécoute certains albums, mes préférés, ceux que j’ai sous la main. Celui-ci, Man With The Woman Face, figure facilement dans mon top 5 (il y en a vraiment beaucoup). Et puis c’est un tel bonheur d’écrire à propos de ce genre de trucs.
Le premier morceau a un nom à la con : Beware the african mosquito (ring your doorbell, put you to sleep). Il y a une vague sonore continue, un bourdon léger, simple, fait de plusieurs notes qui se rentrent dedans, pas un accord identifiable, juste un tapis, un matelas, un truc sur lequel on se repose. Et dessus viennent se poser tout un tas de sons rigolos, hyper bien enregistrés, trop bizarres, certains reconnaissables, d’autres non. Des mouches qui volent, du steel drum et un autre instrument percussif, des chkchkchkchk, un buzz électronique bizarre, et à mesure qu’on avance le tapis est de plus en plus chargé, on est carrément recouvert de sons bizarres et on commence à se sentir transporté très très loin en arrière, à l’époque des parcs, des tapis de jeux, des couches culottes, cette époque ou tous les sons étaient nouveaux et intrigants et magnifiques, ou on pouvait s’amuser sans problème pendant un quart d’heure avec un tourniquet qui fait du bruit, avec n’importe quoi en fait. J’imagine le studio du mec, une vraie caverne d’Ali Baba, des instruments et objets divers dans tous les sens, des montagnes de trucs qui servent ou non à faire de la musique, c’est là une des grandes qualités de Steven Stapleton, et accessoirement de son comparse Colin Potter, cette faculté à inventer constamment, et finalement à faire de la musique avec des oreilles et un coeur d’enfant, comme si c’était leur première séance d’enregistrement. Voila quoi. Vers la fin du morceau il y a des trucs nouveaux : voix humaines, guimbarde, effets de stéréo rigolos, orgie de percussions marrantes, les enfants adorerait ça, il faut absolument faire écouter ce disque aux tous petits. Enfin je crois. A la fin les mouches contre attaquent et sur de bonnes enceintes c’est un bonheur, on les entend presque voler autour de nous. Pour le dire autrement : imaginez que vous pénétrez dans une vieille boutique de fourniture pour sorcier, poussiéreuse, bordélique, pleine de crânes peints à la gouache, de sabliers, de baguettes magiques, de petits objets faits en os, de gris gris multicolores, de toutes tailles, toutes formes ; il y a aussi des animaux dans des cages, des souris, des rats, des mouches, des corbeaux, des pies ; beaucoup de pierres précieuses, des gadgets en métal, des voitures mécaniques hantées, des instruments de musique de magicien ; c’est sombre, exigu, ça sent le vieux, il y a de la moquette épaisse au sol, des chandeliers en cuivre aux formes incroyables, et puis ce vieux monsieur au comptoir qui a l’air d’avoir 150 ans passés. L’endroit rêvé pour se prendre une bonne grosse dose de psychédéliques. Et ouai.
Le deuxième morceau est écrit en gaélique : Ag canadh thuas sa spèir. Il est beaucoup plus industriel, et calme en même temps. Plus du tout de percussion ; des sifflements, c’est le royaume de l’électronique, des tubes, de l’air comprimé, des appareils baroques, des orgues, des têtes humaines montées sur pattes et bras mécaniques se baladant dans les couloirs d’une usine plus vieille que dieu lui même, et qui produit des trucs que plus personne n’est en mesure de comprendre, encore moins d’utiliser ; OH fuck il y a une sorte de bruit de maison en bois qui s’écroule et puis un groupe de rock se met à jouer vingt secondes avant une explosion et la suite est une succession/collage dada/situationniste de vieilles portes qui grincent, de groupes de rock mouvants, de violons de maison hantée, de disques compacts rayés, de moteurs de bateau au repos, de pianos de films d’horreur, encore du violon zinzin, des sifflements très aigus, bref, l’antre de la folie quoi.
Pour terminer il y a un morceau d’un quart d’heure qui a encore un nom à la con : White light from the stars in your mind (A paramechanical Developpement). Celui ci ressemblerait presque à des morceaux d’ambient modernes, au début en tout cas ; il y a ce tapis moelleux comme dans le premier morceau, mais cette fois les petits bruits ne se posent pas dessus, ils flottent au dessus, dans le brouillard, c’est même pas un tapis en fait , c’est une sorte de générateur de champ électromagnétique et c’est dangereux pour la santé, il y a de quoi se disloquer les neurones comme ce mec là qui parle en avant puis qui ravale ses mots c’est même pas un mec c’est un tas de chair ressemblant vaguement à un homme de loin, un truc dégueu mais on s’en fout vu que nous non plus on n’est pas en super état. Ce morceau est le seul des trois qui évoque un paysage d’extérieur ; mais ça reste assez claustrophobe, à cause de cet épais brouillard, la visibilité est très réduite, c’est tout blanc et des images de vieille cassette vhs délavée mal incrustées flottent autour de nous ; il y a même des tambours primitifs sortis d’un vieux mondo italien des seventies ; scènes gore, éventration de tortues, journalistes empalés et compagnie. C’est marrant, le dictionnaire de mon ordinateur connait le mot “empalé”. Il y a aussi ces voix déformées bizarres, tout ça pour se sentir propulsé au milieu d’une jungle blanche, comme si le pôle nord était entièrement recouvert d’arbres hyper résistants, comme si une tribu survivait, perchée dans ces gigantesques massifs polaires, dans des cabanes faites de stallagtites. Un truc de dingue quoi. D’ailleurs ces sauvages ont réussi, on ne sait comment, à kidnapper Ray Charles, qui joue un peu d’orgue pendant la cérémonie, avec ses lunettes de soleil et ses mimiques de pianiste aveugle, qui regarde vers le ciel en souriant bêtement, on sait pas pourquoi, peut-être que je devrais essayer moi aussi. Les tambours battent toujours plus fort, le marabout porte des clochettes aux chevilles, il fait moins cinquante, et les ewoks des neiges chantent je sais pas trop quoi, c’est peut-être un baptême ou alors c’est la fête de printemps, pour célébrer le retour du soleil ; des paréos et de la crème solaire. White Light From The Stars In Your Mind. C’est ça les paroles. C’est bien. C’est le Soleil. Oui une cérémonie religieuse primitive pour fêter le retour de l’Astre du jour qui s’était caché pendant six mois, le coquin. Ca craint de vivre aux pôles, six mois sous antidépresseurs, l’horreur, mais bon si on a des ewoks blancs pour nous tenir compagnie, peut-être que c’est pas si mal. En tout cas voilà encore un disque qui vient me rappeler que l’Univers est bien plus riche et complexe que tout ce que peut m’apporter la civilisation tentaculaire dont je fais partie. Ça me rend content et triste en même temps, et je me demande si un jour je pourrai expérimenter autrement qu’en théorie les possibilités infinies du monde réel. Bref. Je me joins à Nurse With Wound pour emmerder copieusement la Société et maintenant c’est l’heure de se laver les dents et d’aller au lit parce que demain, je travaille. A PLUS.