Benjamin Thigpen – Divide By Zero (2011)

(il a des lunettes et un macbook pro)

Bon mettons nous d’accord. Je connais pas ce type et j’ai pas envie de le connaitre. Je connais pas le label, ou peut-être que si, mais on s’en fout. Il est peut-être anglais, ou américain, ou maltais. Le truc important, c’est que cette pochette apocalyptique est vraiment cool et après trois pintes de guinness tout le monde a envie d’écouter ce genre de noise électronique du futur. Ca ne fait pas mal aux oreilles, ou alors on s’en rend pas compte je sais pas, mais ces vagues de bruit blanc ne sont pas que des vagues de bruit blanc, il y a beaucoup de choses qui se passent dès les premières secondes. C’est à ranger dans la catégorie Rama/Microcosmos, d’ailleurs je renouvelle mon défi à tous les réalisateurs de documentaires animaliers en herbe, faites moi un Microcosmos dans l’univers merveilleux des bactéries, la moitié de l’humanité au moins en rêve.

Donc voilà. du bruit, du gros bruit et des petits bruits qui bougent tout le temps. Comme un disque de Prurient (je sais que vous aimez ça, bande de coquins) mélangé à des choses d’intello à lunettes genre Ryoji Ikeda, Alva Noto et compagnie, avec des vagues, des moments incroyablement intenses et vaguement ferroviaires, et des passages oeil du cyclone venteux, le temps d’accrocher sa ceinture à une canalisation pour ne pas s’envoler, un petit coup de flanger et une réverbération planétaire, le calme, tellement calme… Voilà pour les huit premières minutes. C’est dingue. 

Le second morceau est intitulé Malfunction30931. Et direct ça nous renvoie à cette pochette fondue. Des engins électroniques malades, dysfonctionnels, qui font crrrrr brrrrrrr tktktktktkktkktktkt zzzzzzzzzzzzzz iiiiiiiiiiiiiii. C’est bien de ne pas savoir comment cette musique est faite, ça laisse à l’auditeur une infinité de possibilités à laisser germer et mûrir dans sa tête. Est-ce que ce sont de véritables circuits électroniques endommagés, du circuit bending très bien foutu, est-ce qu’au contraire tout ça est hyper travaillé, calculé à la nanoseconde près, impossible à dire, et c’est pour ça qu’au lieu d’interpréter cette musique en termes techniques on est happé de force dans un monde dévasté et rouillé mais plein de vie, et carrément beau, enfin ça dépend des critères de chacun, mais pour moi la beauté c’est aussi ça, ce genre bouillie extraterrestre relativement harmonieuse, agressive mais pas trop, qui se renouvelle constamment, qui raconte quelque chose. Au moment où j’écris ça, je contemple cette télévision fondue, ce lecteur dévédé fondu, et tous ces trucs fondus autour, et je trouve ça magnifique et je me dis que ça aurait tout à fait eu sa place dans l’exposition dystopia au CAPC l’année dernière. 

Il y a des voix dans ce disque. Elles sont sursaturées, déformées, cachées très loin au fond du mix, mais on les entend, et elles me font penser à la fin de terminator 3, après le cataclysme nucléaire, quand les derniers survivants de l’espèce humaine en sont réduits à communiquer de la manière la plus rudimentaire qui soit ou presque, par ondes hertziennes, par la CB ou je sais pas quoi, sur des vieux postes des années 50. Ca me renvoie à mon rapport ambivalent à la technologie, cet amour/haine que je n’arriverai jamais à comprendre vraiment parce que c’est honteux aujourd’hui, c’est cracher dans la soupe. L’éclatement de la surcouche hi tech qui nous isole du “monde réel”, que je suis obligé de mettre entre parenthèses parce que je suis pas sûr que ça soit autre chose qu’un fantasme, une utopie ou je sais pas quoi. J’aime cette musique parce que derrière, je vois une renaissance, des champs de blé, des petits villages autonomes peuplés de gens qui ont tout perdu et qui essaient tant bien que mal de reconstruire une civilisation sur des bases plus saines. La fin de Fight Club, avec ces immeubles qui s’écroulent, titille la même zone de mon cerveau. Ca vous est jamais arrivé de rêver que tout s’écroule et qu’il faut recommencer à zéro? Bref. 

Le troisième morceau s’appelle Espoir. En français dans le texte. Oui oui. Je vous laisse digérer cette information. Prenez votre temps…

Un morceau très court, saturations, voix entremêlées en 8 bits… Très court, à peine une minute. Suivi de Brief Candle,  construit à partir de voix travaillées, modifiées, triturées, qui hoquettent comme un moteur qui a des ratés. Des voix de pauvres bestioles qui ne comprennent rien à ce qui se passe. Un truc beaucoup moins bruyant, qui s’attarde sur une flaque dans laquelle nagent des larves électroniques, des larves de moustiques électroniques, avec des ailes et un visage humanoïde. On navigue en plein bizarre, on est pas loin des délires de Nurse With Wound, ce qui sous mes doigts musclés est un vrai compliment. SILENCE, des cris, un zoo, des éléphants électroniques dans une cuve à éléphants. Ils ont pas mangé depuis des lustres, ils commencent à s’entredévorer. Est-ce qu’un éléphant affamé penserait à mordre le flanc de ses congénères avant de mourir de faim, je sais pas. C’est aussi ça qui fait la supériorité des espèces omnivores. Tout est bon, du plancton jusqu’au dinosaure. et hop /// un hélicoptère. Parfois je me demande si il y a vraiment des gens qui lisent ce que j’écris sur mon blog. Vous devriez m’envoyer des messages. Mais bon. Un vaisseau spatial mû par des pales d’hélicoptère vient secourir les éléphants. On peut passer à autre chose : les oiseaux.  Une autre paire de manche, il faut une épuisette. Ils volent tellement vite, ils sont dans le canal gauche, puis le droit, on les distingue à peine, bleu électrique sur fond bleu électrique. Tant pis pour les oiseaux. Ce passage du disque est assez désespérant. La déprime, heureusement l’orage arrive et ce sont alors des nuées de bestioles qui prennent leur envol, c’est hitchcockien, il suffit de tendre son épuisette pour capturer des dizaines de trucs à plumes qui s’énervent et commencent à déchirer l’espace temps tellement ils sont pas contents. ENFIN on retrouve l’énergie déchainée des morceaux précédents, c’est pas trop tôt. Mais bon, la vie ça marche comme ça. Frustration -> satisfaction. L’un ne marche pas sans l’autre. C’est vachement plus sain que le magma informe de Dominick Fernow qui d’ailleurs n’a jamais prétendu faire de la musique très saine. La vie, c’est quand même mieux que les disques de Prurient. 

Bonbonbon. Nous voilà arrivés au dernier morceau, et il dure un moment, 21 minutes et 44 secondes. C’est un peu décourageant, mais non, tout est dans la tête, il faut faire le vide et se laisser envahir, contaminer, pénétrer par cette chose qui vient de l’extérieur, ça fait du bien. La M U S I Q U E. Ah oui, pour ceux que ça intéresse, ça s’appelle 0.95652173913. Est-ce que c’est une constante célèbre du genre pi, je sais pas. Si quelqu’un sait, mon adresse c’est guyjeanmiard@gmail.com et ça m’intéresse. Qu’est ce que le gars avait en tête, pourquoi un nombre, ??. Plus trop d’espoir en tout cas. A la limite, des trompettes qui jouent toutes seules, dans la bourrasque. Des machines qui accèdent à l’intelligence et qui se démènent comme elles peuvent pour comprendre ce qu’elles foutent là, d’où elles viennent, pourquoi elles n’étaient pas l’instant d’avant, et maintenant elles sont. Vous savez que pour Rafik Djoumi, Matrix est un film qui ne met en scène que des intelligences artificielles, des programmes, et 0% de vie organique? Oui ça fait réfléchir. Neo n’est qu’un programme parmi d’autres. Et nous, cons d’humains, on est tellement conditionnés qu’on a cru y voir de véritables être humains, doués d’une conscience, alors qu’il s’agissait seulement de logiciels dotés d’une enveloppe humaine, habillés d’une texture hyper réaliste d’êtres humains. Que des Mr Smith, chacun une fonction différente, bref. Le film le plus inhumain de tous les temps, ou comment prendre les spectateurs pour des gogols. Le bouquin de ce mec s’appelle Matrix Happening, parce que justement, Matrix n’est pas seulement un film, c’est un happening, bon le terme n’est peut-être pas très bien choisi, quoique. Le but de cette oeuvre, c’est de montrer à quel point le spectateur occidental est prompt à s’identifier aux choses qui évoluent sur un écran quand bien même elles seraient le contraire de la vie humaine et de la vie tout court. Je sais pas quelles conclusions les frères (ou plutôt le frère et la soeur haha) Washowski en tirent. Mais Bon. On est conditionnés quoi. On croit au père Noël. Pensez y si jamais un jour, par hasard, vous retombez sur ces films (je crois que plus personne aujourd’hui ne choisit volontairement de regarder Matrix ; personnellement je n’en ai aucune envie). Enfin bref. Oubliez, j’ai trop bu. Ca fait environ dix minutes que je n’écoute plus la musique qui sort du casque. Hop un plongeon, juste au bon moment : il y a une grosse explosion de bruit qui ma foi se laisse écouter. Techniquement, je n’ai pas plus d’idées qu’au début du disque sur ce qui se passe vraiment. C’est pas grave. Certains critiques adorent comprendre l’origine des sons, et moi je suis bien content quand j’arrive à deviner comment c’est fait, mais là, euh, non. J’ai juste l’impression qu’il y a un saxophone à la fin. Ou un violoncelle. Bah. C’est pas grave. C’était cool. Oui ce blog ne contient que des critiques positives. Bisous à plus.