Cette fois on va écouter tous ensemble de la musique électronique de recherche très sérieuse. C’est Thomas Koner, un mec pas si sérieux que ça j’imagine vu qu’avant il était dans un groupe de techno et qu’il a même fait un remix pour Nine Inch Nails à l’époque de The Fragile.
Celui là s’appelle Novaya Zemlya, comme l’archipel où les russes ont fait péter la plus grosse bombe à hydrogène jamais fabriquée-et encore, ils l’ont bridée par ce que ce bon nikita khrouchtchev ne voulait pas que l’onde de choc brise tous les miroirs de Moscou. Voila. Des îles froides, inhospitalières mais possédant un charme certain. Ce qui est également le cas de ce disque.
C’est une longue piste divisée en trois parties parfaitement imbriquées. Ca commence avec des bruits d’explosion très étouffés et très lointains. Pas tout à fait des explosions, mais pas loin. Elles sont parfois suivies d’un deuxième effet kiss cool, dans les infrabasses. Oui les ondes se déplacent plus vite dans l’air que par la terre. A moins que ce ne soit l’inverse. Bref. Lentement une petite brise se lève, quelques crépitements, quelque chose se construit. La fumée, le troisième effet Kiss Cool. Oui en fait c’est un vaisseau extra terrestre qui s’est écrasé. Et la brume qui s’en dégage a fini par gagner tout l’archipel ; dans cette brume se cachent des choses inquiétantes, vivantes ou mécaniques on sait pas trop, mais ça fait un peu peur. Mettez ce disque à Halloween pour effrayer vos petits cousins, ça va trop trop marcher. Nous sommes donc perdus dans la purée de pois. Encore des explosions au loin, ou en tout cas des chocs violents générant des infrabasses. Et petit à petit on jurerait qu’on n’est plus dehors. Dans cet épais brouillard, on ne s’est pas rendu compte qu’on nous mettait sous cloche. Voila. Fin du premier acte. Le brouillard s’est dissipé et les infrabasses se font plus régulières, comme si des machines géantes s’étaient mises en action, des quadripodes impériaux, des véhicules géants, des monstres grands comme des buildings… Ah. Premier truc un peu mélodique depuis le début du disque, puis un autre… Une basse, des cuivres, c’est de la musique de film, de la musique calme et tendue à la fois, paysage dévasté, mais que s’est il passé, des femmes qui pleurent en tenant le corps sans vie de leur enfant dans leurs bras, des montagnes de cadavres, un compteur Geiger qui s’affole, grosse gueule de bois quoi. On jurerait entendre une raffale d’arme automatique à un certain moment. La mélodie s’en va, puis revient. Le compteur geiger est un élément central de cette deuxième piste. Des conversations radio. En russe. Des nappes de son, un souffle glacé et métallique, l’absence totale de vie, oui un peu plus tôt je pensais à ce film là, The Mist, adapté de Stephen King, mais non en réalité tout ce qu’on entend est d’origine humaine, la guerre, les bombes, la souffrance, l’absence de vie comme un trou noir qui avalerait jusqu’au dernier son. Plus de couleur, plus de brins d’herbes, plus de papillons, plus de chauves souris, plus d’abricots, plus de vestes en laine, plus de magazines spécialisés. Ca me rappelle un rêve que j’ai fait il y a pas longtemps. Vraiment affreux, on vivait tous dans la boue grise, il n’y avait que des collines de boue grise à perte de vue, et les gens étaient nus, entassés les uns sur les autres, recouverts de boue, ils se nourrissaient de la boue qu’ils trouvaient à portée de main, pleine de leurs déjections, et tout était gris, visqueux, mauvais, triste, même le ciel, à perte de vue. Bon ce disque n’est pas tout à fait comme ça. Il n’est pas boueux, il est pur, mais glacé. Il est propre comme un container en innox radioactif. Il est pur comme un paysage enneigé. Et désolé. Et tellement beau en même temps ; c’est clair, c’est magnifique. Ces grosses basses, ces sons hyper précis, j’en reviens pas, de quoi abandonner définitivement l’idée de faire de la musique avec son ordinateur. Il y a un groupe facebook qui dit quelque chose du genre “seuls les imbéciles ne voient la beauté que dans les belles choses”. Ben ouai voilà, c’est exactement ça. Ce disque qui parle de la désolation causée par la Bombe, et du mal que l’Homme est capable de se faire à lui même, en même temps il est superbe. Je dirais même que dans le genre, c’est un de ceux que je trouve les plus beaux. C’est pas seulement une histoire de sound design, non, c’est un tout, la beauté des sons, l’harmonie qui se dégage de leur combinaison, l’intelligence de la construction dans le temps, l’adéquation entre le fond et la forme… Un archipel, son histoire et sa géographie mis en musique par un artiste sonore qui se sert de micros et d’ordinateurs. Comme si on y était. On sait pas trop où, mais on y est. Le milieu du dernier tableau est assez mélodique, on entend une vague ritournelle jouée au piano, lentement, doucement, mais ça ne dure pas, le disque ne finira pas sur une note aussi doucement mélancolique. Les déflagrations lointaines ressurgissent, et tout disparait, il ne reste plus que les infrabasses. Le trou noir a finalement réussi à nous avaler. Un jour, les deux derniers êtres humains s’entretueront et ce sera la fin de tout. Voilà c’est tout bisous à plus.