Jim O’Rourke – Old News #8 (Editions Mego, 2012)


On va parler du dernier disque de la série Old News qui compile des morceaux électroniques / académiques puisés dans les archives de Jim O’Rourke. C’est déjà le huitième, sorti chez les éditions Mego. Quatre morceaux, le plus court dure treize minutes. Si vous connaissez ce mec pour sa participation à Sonic Youth dans les 00’s ça risque de vous faire tout drôle. Mais bon. 

Le disque commence de manière très venteuse. Ça souffle, une brise légère, au petit matin. C’est le lever du Soleil. Une sorte de grincement harmonieux monte petit à petit, un bourdonnement qui pour le coup ressemble pas mal au bruit que fait un bourdon en plein vol. Et puis un deuxième, un troisième. C’est une vraie ruche, ou un nid de bourdons, je sais pas trop comment s’organisent ces bestioles dans leur vie de tous les jours. Quoi qu’il en soit on est donc en face d’une colonie de bourdons, dont certains nous frôlent, tandis que la masse reste à une distance raisonnable. En prenant un peu de recul on découvre que derrière ce ballet aérien il y a une grande plaine sauvage avec un cours d’eau, des arbres feuillus qui frissonnent, quelques animaux sauvages mignons et au regard pourtant étrangement grave. Enfin, tout ça c’est une image. En réalité, la musique est composée de plusieurs couches de drones, choeurs, violons, synthés, d’autres trucs. Le paysage sonore évolue assez vite, il ne reste pas figé bien longtemps et voilà déjà qu’un ronron électrique succède à cette ambiance pastorale. Le son qui parvient à mes oreilles ressemble plus à celui d’un petit avion télécommandé désormais, ou un transformateur électrique de quartier… Et hop ça change encore. Mais pourquoi être si pressé Jim? Ne peux-tu pas nous laisser un peu plus de temps? HO. Nouveau tableau donc, long drap de soie synthétique déroulé à faible allure, blanchâtre, moelleux, laiteux, un peu brillant quand même. Encore une fois, je m’attends à ce que ça ne dure que quelques instants et je suis frustré par anticipation. Ca craint. Mais en même temps c’est beau alors… 

La suite s’appelle Mere pt. 2 (oui, la première face c’était Mere pt. 1). Encore le même concept de drone qui émerge lentement, cette fois ça ressemble à un instrument à vent style cornemuse ou accordéon. Sauf que derrière il y a un vaisseau spatial géant derrière, plus près, encore plus près, puis au dessus de nous, il nous survole lentement, comme au début de la Guerre des Etoiles… des bruits stridents en plus, à mesure qu’on se rapproche des réacteurs, et la musique se fait de plus en plus dissonante, dissonante SF, c’est de la science fiction pour les oreilles, tendance space opéra new âge. Ca chatouille un peu les oreille, c’est pas hyper agréable, Jim aime bien taquiner ses auditeurs, je le sais, mais bon. Finalement on se rend compte rapidement que ces bruits stridents sont assez complexes, c’est intrigant, on se demande ce que c’est, à quoi ils servent, comment ils sont faits. Ce morceau est plus progressif que le précédent, l’évolution est plus lente et c’est tant mieux. Voilà, le vaisseau disparait au loin, on n’entend plus que le cortège de petits vaisseaux qui lui collent au train, qui disparaissent finalement à leur tour, laissant la place au bruit de fond cosmique, artefact des premiers instants de l’univers, vibration primitive, à peine perceptible, et on se sent seul avec soi même, bonjour GJ, moi c’est GJ, enchanté, alors comment ça va la pêche? oui ça roule, je suis actuellement tout nu sur mon canapé, en train d’écouter Jim O’Rourke, c’est sympa, mais un peu froid, c’est de la musique spatiale, la bande son du vide qui compose toute chose, que ce soit l’univers, une roue, un atome, que du vide, du vide peuplé de Rien, ce rien qui pourtant constitue la matière. Rah. Le but du jeu c’est de réussir à se fondre dans le vide, comme si on faisait partie du Tout, parce que c’est la seule méthode durable pour ne plus rien ressentir que ce soit positif ou négatif, ne plus penser à rien, ne plus avoir chaud ni froid, ni faim ni sommeil, ne plus aimer personne, ne plus détester personne, ne plus penser à personne ni à soi même, et penser à tout ça en même temps, faire rentrer la totalité de l’univers dans sa petite tête, avec un chausse pied psychologique, que ça soit un disque de Jim ou une part de champignons magiques ou une séance de méditation ou un footing… Oh super merci GJ bon j’y vais salut à plus. Bref. Cette deuxième partie était géniale, audacieuse, très belle et tout. 

Troisième quart temps, Mere pt. 3. C’est le morceau le plus court de l’album et c’est la conclusion de cette longue suite intitulée Mere. Encore une ambiante spatiale, froide et un peu inquiétante comme peut l’être le Vide, l’obscurité et l’absence de repères moraux. Il y a tout de même un phare, ou plutôt une corne de brume qui nous sert de repère et nous permet d’avancer. C’est quoi, une clarinette ou un truc de ce genre? Peu importe de toute façon elle est déjà derrière nous. On avance encore, et cette fois on met pied à terre. Ah le plancher des vaches. Solide, stable, sécurisant. Il y a des grouilles, et tout un tas de bestioles. Finalement, ça ne fait pas forcément moins peur que les deux morceaux précédents, mais au moins cette fois la musique est plus… mhh comment dire… plus palpable. Des instruments acoustiques, trompettes et autres, qui bourdonnent à l’unisson ou presque, qui frottent un peu, dévient de leur route, titubent comme un cerf à qui on aurait fait boire une bouteille de Jack Daniels. Intéressant croisement entre électronique et électro acoustique, de la part d’un mec qui a de la bouteille c’est le moins qu’on puisse dire. Voilà, on sent que c’est bientôt la fin, longs râles de cuivres, je pense un peu à “Alice”, le morceau de Sunn O))), mais une version plus dark et minimaliste, non en fait ça n’y ressemble pas trop mais les associations parfois elles nous viennent comme ça sans qu’on comprenne vraiment pourquoi. Bon alors voilà, bilan d’étape : c’est de la musique intéressante, assez évocatrice, pas particulièrement belle, ni originale, mais il y a quand même de bonnes idées. Un voyage pas cher, à condition d’avoir le temps de se poser pendant une heure. Non je ne le conseille pas trop à ceux qui n’écoutent de la musique que lorsqu’ils font la vaisselle. Pour eux, il y a Burning Love. Bref. 

Dernier morceau, qui est un peu à part, si j’en crois le titre, puisqu’il s’appelle Merely, donc détaché du reste. Et d’ailleurs ça s’entend dès les premières secondes et ce gros tambour d’orchestre qui retentit comme pour nous préparer à quelque chose, le clou du spectacle, le prisonnier qui avance le long de la planche, une épée lui chatouillant le bas du dos, des requins affamés en contrebas. Tambour donc, et petites cloches, à partir d’un moment. A force de chercher toute trace de progressivité on commence à se persuader que le tambour joue de plus en plus fort mais non. Les cloches se font de plus en plus présentes. De petites clochettes. Ou du vibraphone, ou un truc mais quoi. Manque plus que le bruit du réveil et c’est Peter Pan qui débarque. J’aime beaucoup ces clochettes, leur tintement brillant et cette longue traine qui fait onduler les harmoniques. C’est très beau, le plus beau passage du disque à mon avis. Et ce gros tambour derrière qui continue, un peu étouffé, beaucoup moins bruyant… Puis un grelot de père Noël fait son apparition. Sacré coup de théâtre. C’est de la musique de marchand de sable. Une berceuse intello, un conte pour oreilles d’adultes et d’adolescents, et d’enfants aussi. Mon dieu, le jour où vous aurez des enfants, faites leur écouter ce genre de musique, très tôt, dès que possible, avant que leurs oreilles ne soient définitivement formatées par les petits déjeuners devant NRJ 12. Finalement tout disparait, à part le père noël. Il ne reste plus rien, que du souffle grave, des flammes, un moteur de bus de ville. Noël en 2054, après la troisième guerre mondiale, Noël dans les ruines du monde moderne, sous un pont, dans les décombres, autour d’un brasero alimenté par les bouquins de philosophie de la bibliothèque municipale, lettre H, Hegel, Heidegger, tout ça… Le tambour revient, repart, doucement… Vraiment bizarre ce dernier morceau, il commence comme un truc un peu ludique à base de tambour et de vibraphone, il finit en bande son post apocalyptique grise et désespérée et le fade out qui prend son temps ne fait que renforcer le côté désolé de la chose.

Bon. Je ne sais pas trop quoi penser de ce disque. C’était pas nul, évidemment. Mais pas inoubliable non plus. Voila. C’est tout à plus. 

Alors, pour info, voici ce qu’on peut trouver sur le site des éditions Mego : 

Mere Pts 1-3
Recorded 91-92
Originally released as part of Disengage by Staalplaat. Special thanks to Geert-Jan Hobijn and Frans de Waard for their years of support.

Trombone: Jeff Cortazzo
Cello: Sue Wolf
Shortwave: Michael Prime
Voice: Geoff Fontaine, Gretchen Wells, Matt Guerierri, Scott Shell

Merely
Recorded live at Depaul University 1991
Percussion: Carrie Biolo

Remastered 2012 Steamroom Tokyo
This one is for Billy F