Kevin Drumm – Relief (Editions Mego, 2012)

Dès les premières secondes on a envie de mettre le son à fond pour être totalement emporté dans ce torrent de bzzz et autre. Des bruits de neige, des radios qui se cherchent, nous contrôlons les horizontales et le verticales, ceci n’est pas une défaillance de votre téléviseur. Derrière ces sifflements, ces souffles, ces trucs, il y a une sorte de synthé qui joue deux notes voisines, ça frotte, c’est mystérieux, ça me rappelle le dernier disque des Yellow Swans qui fonctionnait sur le même principe. J’arrête pas de monter le son j’espère que la voisine me pardonnera un jour. C’est que oui, cette musique doit être jouée très fort, j’insiste. Et en ce moment j’expérimente pas mal l’écoute sur enceintes, je trouve que c’est très différent de l’écoute au casque et parfois c’est bien meilleur. Ces sifflements d’insectes mécaniques par exemple. Ces trucs qui titillent les oreilles. Pas très gentiment. Il y a tout dans cette musique. Toutes les fréquences, tout ce que l’humanité a produit comme son depuis son apparition. Des milliards d’histoires qui se jouent en même temps. C’est comme être à la place de dieu, ou être télépathe. Au quotidien ça doit être très dur, mais pendant 37 minutes, c’est beau. C’est beau comme un saut dans le vide. Ce disque est un saut dans le vide, bien sûr, et quand je parle du vide, je parle évidemment de ces étendues infinies qui constituent l’essentiel du volume d’un atome. Est-ce que vous vous rendez compte que les atomes sont essentiellement faits de vide? Que toute la matière est faite de vide, en réalité? Il n’y a quasiment rien. Des petites billes qui nagent dans un océan de vide. Et pourtant…. Quand on flotte dans le vide, au milieu du cosmos, qu’est qu’on a devant les yeux? Des milliards d’étoiles, de galaxies, de nébuleuses, d’amas de galaxies, de super-amas… Des ondes lumineuses et autres qui nous submergent. Oui des ondes. Dans le vide, les ondes se propagent. Un jour il faudra envoyer ce disque dans l’espace, grâce à un émetteur super puissant. Pas pour tenter de communiquer avec une civilisation extra-terrestre, juste pour la beauté du geste, juste parce que c’est quelque chose dont l’humanité peut être fière. 

Quinze minutes plus tard, le torrent de bruit ne semble pas avoir évolué, en apparence. Bien sûr, les journaux vous diront que ce n’est qu’une illusion et qu’en réalité une étude plus poussée, disons avec un téléscope pour les oreilles, on devrait déceler des millions de détails intéressants qui nécessiteraient des années et des années d’observation. Mais bon. Vous n’allez pas l’écouter cinquante fois non plus, ce disque. Si vous y jetez ne serait-ce qu’une oreille, un jour, ça sera déjà bien. Les plus motivés le repasserons de temps en temps au cours de leur vie. Une dizaine de fois, une vingtaine maximum. LOL. Donc n’espérez pas l’apprivoiser totalement. Contentez vous d’ouvrir tous vos chacras et de laisser passer cette musique dans les moindres recoins de votre enveloppe charnelle et de votre âme. Au delà de son intérêt esthétique, ce disque a des vertus thérapeutiques. Pas sur le coup, comme les bons disques d’ambient. Mais après. Une fois le silence revenu dans la pièce, attendez vous à un deuxième effet kiss cool. Opiacé, l’effet kiss cool. 

On parle de noise à propos de cet album et c’est vrai, mais ici il y a un tel niveau de détail, une telle profondeur dans le chaos harmonique qu’il serait peut-être intelligent d’inventer un nouveau nom. Je sais pas trop lequel, si vous avez une idée dites le moi. Même dans la discographie de Kevin Drumm, je vois pas trop d’équivalent, ou alors il faudrait superposer ses disques, les additionner pour arriver à un résultat moitié moins intéressant. Il a fait des trucs bien, oui, mais ça… Ce qui me tue, c’est cette idée d’intégrer une sorte de bourdonnement plus harmonieux, très loin derrière, noyé derrière les bruits parasites. C’est l’épine dorsale du disque, et quelque chose à laquelle les gens un peu moins téméraires pourront se raccrocher pour apprivoiser la chose, et finalement se jeter dans le vide parce qu’il n’y a pas d’alternative. Le morceau dure 36 minutes. Ca me rappelle un peu le film Hellraiser, “ils vont déchirer votre âme”. Yep. Dissolution de l’ego. 

Il reste trois minutes, j’ai l’impression d’avoir des mèches de perceuses dans les oreilles, et en même temps, d’avoir fumé un joint. Je me rends compte que j’étais dans une position un peu inconfortable, mon cou commence à fatiguer, penché sur mon écran. Sérieusement les filles et les mecs, ne faites rien d’autre en écoutant ça. C’est pas long, moins de 37 minutes. Vous avez bien un trou dans votre emploi du temps. Installez vous confortablement, à équidistance des deux enceintes, et BAM. 

Vous pouvez écouter le truc en entier ici. Oui les malades mentaux du Wire ont passé ce disque en musique de fond pendant le bouclage du numéro de novembre.