Jason Lescalleet – Songs About Nothing (Erstwhile Records, 2012)

Ce disque commence de la manière la plus détestable qui soit, avec un truc hyper agressif genre fraise de dentiste, un titre à la con, “The Beauty Of Independent Music”, et nous on est obligés de faire le lien entre les deux, essayer de trouver le rapport… Quoi la musique indé elle est hyper désagréable? Ou elle présente un genre de beauté qu’en fait c’est pas beau alors c’est beau? Mhh. Bref heureusement ça ne dure qu’une minute trente. Le deuxième morceau est encore plus bizarre puisqu’au début on a un beat hyper saturé et puis Jason baise le gain petit à petit, on finit par se retrouver avec le son pas saturé du tout et on se rend compte que c’est une vulgaire boucle synthé boite à rythme pas intéressante du tout et qui dure et qui dure et qui dure… Aussi emmerdant que le premier morceau, voire plus. Je me demande si c’est fait exprès. 

La suite, c’est du piano de comptoir joué sur une platine au moteur fatigué puis zzzzzzzzzzzzzoup la fraise de dentiste ENCORE. POURQUOI oui pourquoi. Puis arrive un deuxième disque, celui là joue un drone de violon à la La Monte Young, le premier truc authentiquement agréable depuis le début. Autant en profiter. C’est plus élaboré qu’un vulgaire violon ou même deux violons. Il y en a tout un tas, et passés à différentes vitesses on dirait, vu les basses fréquences qui sont jouées. Bon tout ça va très vite. Il y a deux disques, le premier est composé de 13 petites pièces qui m’ont l’air d’être toutes plus agaçantes les unes que les autres. Maintenant il s’agit de “The Loop”, une boucle de bruits concrets sans intérêt agrémentée de divers trucs comme une femme qui parle dans une langue non identifiée et qui finit en grosse saturation. Le morceau suivant c’est encore une boucle, de guitare électrique cette fois. Il me semble avoir lu que Jason Lescalleet était un vrai metal head dans sa jeunesse et qu’il est venu aux musiques électroacoustiques sur le tard. Si vous voulez tout savoir, je crois que son travail est essentiellement basé sur des manipulations de magnétophone à bande. C’est bien beau mais si le résultat est chiant, peu importe comment ça a été fait et pour l’instant je dois dire que je m’ennuie un peu heureusement que je tapotte sur mon clavier en même temps sinon je me serais déjà jeté par la fenêtre il y a un moment. Mais vous voyez en même temps que j’écris ça il y a un nouveau morceau qui passe et il est déjà plus joli, parce que Jason a rajouté de la réverbération sur ses boucles analogiques. Il y a un mec qui chante à l’envers, flottant dans un océan intérieur et c’est beau mais trop bref. A quoi sert ce premier disque. Est-ce qu’il est censé poser une ambiance? Préparer l’auditeur à ce qui va suivre? Ou bien il avait trop d’idées et il voulait tout caser? Mystère. Ca mériterait bien une interview. Je mettrai tout ce que je trouve en lien à la fin de cet article. 

Septième piste, “The Power Of Pussy”. Un titre qui devrait évoquer certains trucs aux anglophones et aux amateurs de youporn ou autre. Il s’agit d’un drone électrique assez pur auquel vient s’ajouter une bande son de science fiction de série b des années 80. Et encore un autre truc qui fait un beau bordel électronique wow oui là très joli je me suis fait avoir et en plus ça s’enchaine sans temps mort avec le morceau suivant, “Escargot”, une fois encore début hyper saturé puis calme relatif, calme tendu, calme pas calme avec shaker et corde pincée, ronron de frigo géant de l’espace, tout ça est encourageant, oui parce que j’ai pas fini, après ce premier disque de petits amuse gueule au piment il y a une longue piste de plus de quarante minutes dont j’attends énormément. On y vient on y vient. Pour l’instant c’est le neuvième morceau. On entend un bruit de jardin ou de forêt avec un petit cours d’eau, des chants d’oiseaux, le craquement des bruits de pas dans des feuilles mortes et les branches sèches. Plus une sorte d’aspirateur (??) et comme une barque qui cogne contre le ponton. Dommage que ça ne dure que deux minutes. Ca me donne des idées tout ça. 

Plus que quatre morceaux avant le gros machin et voilà que Jason se fait cuivre un oeuf ; c’est du moins ce qu’on devine à l’oreille. Ca fait crccrrrrrrrrrr. Ca CRÉPITE. En fond, un ronron, un chant grégorien, divers trucs. Au fond, c’est quoi cette musique. C’est un grand collage. Les bandes, il a dû en enregistrer certaines, il a dû en récupérer d’autres à droite à gauche. Il branche tous ses magnétos dans une table, il met quelques effets style distortion, réverbe, pas beaucoup plus. Et voilà. Je commence à être convaincu. Le début était pas terrible, la suite est de plus en plus intéressante. Une fois qu’on a compris le concept. Créer des ambiances en juxtaposant divers sons préenregistrés. Il ne s’agit pas de musique, pas tout à fait. C’est autre chose, mais au fond ça reste de la musique. Ce qui me gêne un peu, c’est qu’il y a sûrement tout un tas de gars qui faisaient ça dès les années 50 ou 60. Mais bon. Il y avait aussi des gens qui peignaient d’autres gens dès la préhistoire et alors, ça ne rend pas ce qui s’est depuis inintéressant pour autant. 

Cette oeuvre est un peu punk sur les bords, c’est clair, suffit de voir les titres des morceaux. Bon, il n’y a pas de gros mots, à moins que Pussy soit un gros mots? Mais bon, Escargot par exemple… Et puis il y a cette agressivité… Qui me rappelle beaucoup les cocktails molotov pour les oreilles des Editions Mego. M’étonnerait pas qu’il sorte un disque chez eux un jour, d’ailleurs. Le dernier amuse gueule, finalement, s’appelle In Throught The Out Door And Another Whore. C’est le plus élaboré, et le plus abstrait/électronique aussi, à base de craquements passés à la moulinette, mis en boucle, saturés, réverbérés, stéréoisés, pour un résultat assez convaincant, enfin, oui j’ai conscience que c’est minable de dire ça, je retire. La musique n’a pas à être convaincante, la musique ne cherche pas à convaincre, la musique séduit, emporte, frappe, caresse, mais 

ah tiens un bruit que je connais. Un truc d’ordinateur. Il y a aussi un ordinateur dans son matos!! HA. 

Et donc, la suite. 

The Future Belongs To No One. Encore des trucs sur bande, un mec qui joue de la guitare sèche, une voiture de course à fond la caisse sur un circuit, et puis des interférences radio qui gigotent… deux minutes plus tard on sait plus où on est, dans une caverne ou une grande pièce, il y a des sifflements, la fraise de dentiste fait son grand retour, mais cette fois on a une oreille sous l’eau, enfin je crois oh et puis non. Bref. C’est désorientant, inquiétant, flippant. Un ambiance de film d’horreur. Vous imaginez Scooby Doo dans une grotte, tout seul, sa dernière allumette à la main, il cherche la sortie, il s’est perdu dans un dédale de tunnels en poursuivant un monstre voleur de croque scooby. Dehors un hélicoptère survole la zone et un barrage de flics filtre l’afflux de curieux. C’est pas tous les jours qu’un chient qui parle se perd dans une grotte à la recherche d’un fantôme. Au milieu du campement de journalistes, un petit bar de fortune, des gens qui discutent, on comprend rien. Plus loin, derrière les barrière, des allemands manifestent. Ils aimeraient qu’on leur révèle la vérité. Mais qu’est-ce qui se passe bordel. D’ailleurs, Scooby Doo il existe pas, les croque scooby non plus et les fantômes… Mais alors qui s’est aventuré dans la grotte? Et c’est quoi cette sorte de ronron électrique qui vient d’en bas? De sous la terre? HOP.

Dans la grotte. Scooby est toujours là mais il y a des gens en blouse blanche avec lui. Ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient. Une paroi métallique, lisse et froide comme la mort. Légèrement radioactive, fluorescente et comment dire… On se sent bizarre quant on en approche. Ce qui sort des enceintes en ce moment, c’est beau et ça rend tout bizarre. Bien et fatigué. Comme le THC. On s’imagine des histoires de Scooby Doo qui découvre un passage vers le futur bloqué de l’autre côté par une gigantesque porte en platine. A partir de là, c’est la folie, on quitte le sol, on quitte la Terre, la réalité. Ca laisse sans voix, sans mains, sans cerveau. Cette musique a un pouvoir de contamination du réel peu commun. Je sais pas comment ni pourquoi. Son côté très sérieux limite inquiétant, les sons organiques, sales, suintant, rouillés… Ce bourdonnement impalpable, cette constante mutation. De la musique que seul notre inconscient arrive à décoder. Oui vous savez cette partie de nous même qui tire les ficelles en nous faisant croire qu’elle n’existe pas. Notre moi numéro deux, un inconnu qui nous suit pourtant comme notre ombre depuis notre naissance. Bref. Qu’est-ce que Jason raconte à notre inconscient? Je sais pas, il ne le sait sûrement pas lui même et d’ailleurs c’est pas vraiment lui qui parle. Le subconscient parle aux subconscients. N’est-ce pas. Tiens c’est pas un super nom de groupe ça, Le Subconscient? Non parce qu’en ce moment je cherche un nom de groupe cool qui aille bien avec ma musique. J’ai un peu de mal, je réfléchis trop. 

Bon apparemment on vient de franchir un pallier dans la progression du morceau. Il n’y a plus grand chose, des bourdonnements synthétiques, des ondes pas très complexes qui résonnent, le doigt appuyé pendant plusieurs minutes sur la même touche du clavier, de sorte que les ondes qui se cachent dans les ondes fassent leur travail de massage cérébral de manière satisfaisante. FIN. Vingt quatre minutes, le deuxième jour commence, la sortie du tunnel, de l’autre côté. Il y a des cloches d’église. C’est un peu brumeux, mais lumineux. Tout blanc, en fait. Je sais pas si je suis particulièrement réceptif, ou si c’est la musique qui est très évocatrice, mais là tout de suite j’ai l’impression d’être complètement parti. Difficile de comprendre à quoi servent les petits morceaux du premier disque une fois qu’on écoute un tel monument. Pour nous préparer oui ça me semble être la meilleure explication. Dire que pendant quelques minutes j’ai cru que cet album était surestimé par la presse voire nul. MH. Chez Tiny Mixtapes ils ont une catégorie qui s’appelle Eurêka, c’est une sélection des meilleurs albums de musique expérimentale. Un peu comme Best New Music chez Pitchfork, mais pour la musique bizarre. En ce moment, cette section est polluée par des disques d’un genre qu’ils appellent “Vaporwave”. Imaginez les pires bandes sons de CD Rom des années 90, remixées, mélangées, passées à la moulinettes, mélangées à des tubes ringards des années 80… Au départ c’était un concept de Daniel Lopatin sous le pseudo Chuck Person, mais ça a ensuite été repris par plein de musiciens qui auraient mieux fait de se mettre au black metal. Bref. Dans cette section Eurêka, ils ont mis Songs About Nothing, et avec une très bonne note en plus. Ils avaient l’air vraiment hyper enthousiastes, ce qui est moins fréquent que sur Pitchfork. Et donc je pense qu’ils ont raison, une fois de plus. Tiny Mixtapes, ils ont un côté agaçant avec leurs critiques bourrées de références philosophiques tirées par les cheveux, mais je les trouve super quand même.

Après les cloches, il y a eu un épisode glacial mais mignon de neige qui fond au microscope, puis une sorte de grêle électronique très jolie mais un peu fatigante pour les oreilles… Et retour à la caverne, réverbe à fond, grondement hyper profond, répétition mécanique, on est dans une sorte de salle des machines primitive, comme dans Lost vous savez, avec cette roue en bois pour déplacer l’île… En réalité il s’agit d’une bande jouée au ralenti. Les bandes c’est très trompeur. Avec un matériau de base assez classique, genre un vulgaire morceau de Depeche Mode (ce dont il s’agit ici), on peut générer des sons très mystérieux. Donc voilà. Jason est un punk situationniste. Non j’exagère. Toujours est il qu’il se sert de It’s No Good de Depeche Mode. Pourquoi?? Mon Dieu!! C’est exactement le même effet que Jimmy Hendrix à la fin de Battlestar Galactica. Faire croire à tout le monde que la musique qu’on aime est d’origine extra terrestre. C’est un peu ça le concept. Après un tel coup de théâtre, il n’y a plus rien à dire. La boite à rythme continue sur sa lancée, au ralenti… Générique de fin. 

Conclusion : je suis hyper surpris, en bien. Monsieur Lescalleet s’est ici aventuré très très loin. Il y a de l’invention dans ce que je viens d’entendre. Des contrées inexplorées. Ca donne envie de s’acheter des gros magnétos à bande. 

Bon. Surtout, ne ratez pas ce disque. C’est tout. A PLUSSSSS. 

PS : petit historique