Nurse With Wound & Blind Cave Salamander – Cabbalism (United Dirter, 2012)

Un point technique qui intéressera surement quelques geeks :

Bon cette fois on arrête de rigoler c’est le disque de Nurse With Wound avec Blind Cave Salamander. L’idée c’était de jouer “Soliloquy For Lilith”, un des grands classiques de Stapleton enregistré avec sa femme en 1988, un disque de drone basé sur des boucles de feedback de pédales d’effet. Franchement je vois pas trop le rapport avec ce qui sort de mes enceintes en ce moment. C’est un drone certes mais un peu plus étoffé que le matériau d’origine donc bon oublions que c’est une reprise d’un vieux truc. 

Dès le départ on a ce bourdonnement dans les hauts médiums, un truc synthétique avec un filtre qui oscille leeeeetement, et autour il y a des instruments acoustiques/électriques, genre alto, guitare, ça frotte, ça buzze, un mélange impur de Godspeed et de Sunn O))), ambiance de mort, ambiance cimetière, ambiance squelette. L’alto ou le violon ou je sais pas quoi s’excite un peu et crache des harmoniques carrément psychédéliques, multicolores, la guitare alourdit l’ensemble parfois, puis se tait, des sifflements aigus retentissent et se taisent à leur tour, puis voilà une énorme basse mastoc qui fait trembler les murs, une fois de plus on pense à Sunn O))), d’ailleurs sur les albums blancs il y a des choses qui se rapprochent assez de ce disque si mes souvenirs sont bons. L’autre jour j’écoutais en accéléré la disco de Sunn O))), pour me rappeler lesquels j’avais bien aimé. A l’époque j’avais moyennement apprécié ces albums blancs, mais finalement je crois qu’ils sont assez intéressants, plus que le Black One qui m’ennuie à chaque fois que je le mets sur ma platine. Bref. Sunn O))). Un sacré groupe quand même. Mais n’oublions pas que ce billet traite d’un album de NWW avec Blind Cave Salamander. 

Musique très statique mais comme souvent avec la musique statique, il y a une progression cachée, très discrète, qu’on a du mal à discerner comme la course du soleil dans le ciel, c’est dur à voir à l’oeil nu mais n’empêche qu’il avance le petit, et assez vite en plus, suivant le référentiel que l’on choisit. On les entend ces feedback démoniaques, simplement ils ne sont pas seuls, il y a ce violoncelle (oui c’est un violoncelle je pense) et quelques notes rebelles qui refusent de se conformer au mouvement général. Je sais pas si vous savez mais Steven O’Malley, de Sunn, a dit en interview, à l’occasion de la sortie de cet album, qu’il aimait particulièrement les Soliloquy For Lilith, dans la discographie de Nurse With Wound. Hein. T’as vu. 

On est toujours dans un cimetière maréquageux, un cimetière sur Dagobah, c’est très glauque et j’aimerais pas trop y faire du camping. Par contre la musique est agréable, que ceux qui aiment la musique glauque lèvent les bras ouaiii. C’est encore plus agréable lorsque ce tremblement dans les basses démarre comme un séisme au loin, dommage qu’il s’estompe si vite. Des sifflement de grenouille, des ovnis dans le ciel, des bulles laissant échapper des effluves nauséabondes, un train fantôme qui passe non loin, des oiseaux nocturnes qui tournent au dessus, il y a tout ce qu’il faut ; c’est riche mais en même temps ils sont au moins 5 sur l’enregistrement. Il y a notamment Colin Potter, que j’ai trop négligé jusqu’ici dans mon analyse de la musique de Nurse With Wound. J’ai toujours pas abandonné mon projet de bouquin sur ce groupe d’ailleurs, vous savez. Ce sera une analyse musicale, qui n’aura pas peur de passer du coq à l’âne, qui s’attardera à l’occasion sur des détails biographiques, et qui fera date dans l’histoire de la critique musicale. Vous pouvez me croire. Rendez vous dans 20 ans, je crois pas avoir le temps ni le courage de le finir avant. La fidélité est toujours récompensée. 

La face b prend le relais, c’est le même flux qui s’écoule, toujours plus loin et toujours plus là, autour de nous, glissant comme un boa, visqueux comme un lombric, toujours plus loin, toujours plus là. La guitare devient plus claquante, les cordes sont pincées, frottées chatouillées, le calme règne, les sons s’espacent, toujours moins autour du fil conducteur mais c’est juste une étape, un reflux auquel succède une nouvelle montée, comme une marée de son, et tous les éléments de la première face reviennent nous dire coucou un par un, la guitare qui fuzze, les grenouilles qui sifflent, la terre qui tremble, le souffle de la mort, ce disque est hyper noir, noir comme peu de disque. Noir et sérieux et on y croit, parce que c’est pas tout de faire de la musique sombre, encore faut-il transporter l’auditeur, sinon c’est pas sombre, c’est juste de l’opérette, du carnaval. Parfois une gerbe de feedback vient détruire les oreilles, mais peut-être que j’ai mis trop fort. La guitare est très discrète mais superbement utilisée, surtout dans ces passages en son clair avec juste du trémolo. Non en fait il y a deux guitares j’ai l’impression. Je regrette que le son ne soit pas plus agréable, plus confortable. C’est pas Steven Stapleton qui disait qu’il enregistrait la musique qu’il avait envie d’écouter pendant ses trips? Ce gars doit avoir une certaine tournure d’esprit, pour passer des trucs aussi dérangeants quand il prend des champis. Mais après tout, peut-être que ça passerait bien. C’est juste qu’on pense plus à mettre des trucs positifs, agréables. Ce qui m’embête le plus ce sont ces sifflements stridents. J’essaierait, je vous raconterai. 

Encore huit minutes. La musique n’a pas vraiment progressé, enfin si, mais en rond. Ceci est un rond de 45 minutes. Un grand rond comme celui que j’ai sur le bras, c’est de la musique circulaire, comme les meilleures musiques de méditation ou je sais pas quoi. Tout se calme, il ne reste pas grand chose, ah ça fait du bien, on entend le bruit de fond du vinyle, le moteur de la platine, à peine, et juste un autre souffle glacial de feedback infini qui monte et polyvibre dans une seule direction. Ouch. Ça c’est cool parce qu’on est obligé de tendre l’oreille, c’est ce que j’appelle de la construction d’ambiance. Le cercle est devenu ligne et ça file tout droit, de gauche à droite, débit toujours plus fort, un filet d’eau, un ruiseau, une rivière, un fleuve de brouillard, tout blanc, un fleuve au fond duquel gisent des squelettes humains, des tonnes des squelettes, et dans lequel nagent des créatures moitié vivantes moitié fantômes, des choses terribles mais ça va, on ne les voit pas, juste leur queue de temps en temps, et on entend des cris, noyés dans cet épais brouillard, si dense qu’il étouffe les sons. Et au bout d’un moment ça s’arrête, dix secondes, neuf, six quatre, une, terminé, et franchement, ça calme comme une bonne claque sur ta joue et il n’y a rien à rajouter. C’est tout à plus.