Salut les coquinous. L’autre jour j’ai lu un texte écrit par Bruce Russel il y explique le concept de free noise et il dit que le rock c’est une bonne base de départ pour partir explorer les tréfonds de la musique libre et du bruit. Puis il finit sur une citation du Tractatus Logico-Philosophicus. Bon c’est pas une démonstration hyper convaincante, mais en tout cas ça m’a donné envie d’écouter son groupe, The Dead C, qui m’a toujours fait un peu peur, parce que le seul album que je connaissais d’eux est hyper austère.
Celui-ci commence bien. Batterie véloce et un peu fofolle, guitares saturées avec wah wah qui font n’importe quoi, c’est bourdonnant et chaotique en même temps ; l’enregistrement est d’assez bonne qualité, ça va. C’est de la musique électrique de transe. Les guitares tracent une route, tout droit, elles bourdonnent et buzzent et sifflent il y a plein de bruits cachés qu’on perçoit tout juste c’est liquide tout liquide ; et quelque chose hurle comme un saxophone au milieu de l’étang. Ouch c’est vraiment cool. Les grattes sont lourdes et on dirait presque ces trucs de drone lourdingue à guitare qui marchaient bien en 2006 mais c’est bien plus que ça ; pas facile de réfléchir avec cette musique, il n’y a plus aucun vide, plus aucun trou, tout est matière, pas homogène, mais solide, ou en tout cas liquide visqueux.
La batterie a été enregistrée dans une pièce pas très grande mais avec un peu de réverbération qui est super bien restituée on a l’impression d’y être. Les guitares sont plus étouffées, les micros étaient plus près des amplis, hum c’est dommage. Ou pas. En tout cas on a pas la sensation d’avoir affaire à un groupe qui joue en live en face de nous. On perçoit un certain travail de post production, il y a des sons qui apparaissent bizarrement, bref.
De la musique libre? (je viens de me faire piquer par un moustique) Ben oui et non. Est-ce que ça existe vraiment la musique libre? Qu’est-ce qui fait qu’une musique est libre? C’est bien gentil de ne plus suivre les règles de la musique pop / de la musique occidentale / de la musique tout court. Mais on est toujours guidé par quelque chose lorsqu’on joue d’un instrument. Pas forcément le souvenir de disques déjà entendus qu’on cherche plus ou moins consciemment à rejouer. Un exemple : je peux pas supporter ma mère. Je vais faire de la musique violente avec des paroles qui parlent d’éventrer ses parents et de donner leurs tripes à bouffer au chien des voisins. Est-ce que j’ai vraiment eu le choix de faire ça? Est-ce que ma condition ne m’a pas dicté la thématique et la coloration de ma musique? Hein? On est tous influencés par quelque chose sinon on n’aurait tout simplement pas l’idée de faire de la musique. Il y a certes la possibilité de tout abandonner au hasard, faire de la musique purement aléatoire en sélectionnant au pif des instruments parmi tous ceux qui existent dans le monde entier puis tirer au dé ou générer par ordinateur une mélodie. Mais cette mélodie, il faudrait bien la jouer ! Et à moins de confier le job à un robot, on serait malheureusement amenés à l’interpréter avec tout ce que ça implique de conditionnement. Bref. Difficile de donner une définition de la musique libre sans définir au préalable ce qu’est la liberté et bon, je crois que jamais personne n’a réussi à mettre tout le monde d’accord, même pas Jean-Paul Sartre. Moi comme je dis toujours : on s’en branle ce qui compte c’est de faire des trucs fun et de se faire plaisir.
Le deuxième morceau s’appelle courage, il est assez différent. Ca respire plus, il y a un battement régulier un peu mécanique, des sons parasites électroniques, des cordes de guitare grattées à vide, et même un chant de vieux bluesman martien fatigué. Mélange intéressant. Les éléments “noise” sont très cools, belles textures sonores, plein d’harmoniques qui gigottent, c’est très organique tout ça. Un piano entre en scène, lui aussi est légèrement réverbéré. Il y a une progression plus nette que dans le morceau précédent. On entend une guitare qui ne sonne pas vraiment blues mais qui rappelle vaguement un mec qui serait assis sous son porche avec sa guitare et qui jouerait quelques notes un peu tristes parce que sa meuf est morte bouffée par des corbeaux alors qu’elle était dans le potager pour cueillir des tomates. Je comprends rien aux paroles. La batterie joue un truc régulier avec les toms et la caisse claire je crois. La guitare s’énerve de plus en plus et un petit truc marrant genre arc électrique qui clignote apparait. On dirait un groupe de drogués qui s’est lancé dans une impro après avoir fumé plein de joints. Ce qui ne semble pas totalement impossible, même si quand on voit leur gueule on se dit qu’ils ont peut-être passé l’âge de s’enfumer les neurones. N’empêche que c’est presque space rock ; et un peu triste aussi. Du blues psyché noise martien (ce qui n’a que peu de rapport avec ce qu’on peut connaitre d’équivalent sur Terre). La musique des Dead C a quelque chose de très sec voire totalement cramé en fait. C’est pour ça que je parle de Mars. Même lorsque les sonorités sont plus liquides, c’est sec. Les torrents du premier morceau sont faits de méthane liquide ou de mercure ou je sais pas quoi, certainement pas d’eau. Un truc pas favorable à la vie en tout cas.
Cette musique est assez inhospitalière, sans être complètement désagréable. On peut même la trouver belle, à condition de faire un effort. Mais elle ne se livre pas comme ça. C’est assez extrême quand même, peut-être plus que les Prurient, Kelvin Drumm et compagnie. La seconde partie du morceau est calme, très calme, trop calme, on sent que c’est provisoire, il y a du suspense. Une guitare wah joue quelque chose d’assez dingue pendant que la batterie se remet à frapper en rythme. Cette guitare est assez dingue de subtilité, c’est à la limite du jeu et du non jeu, ce qui est assez passionnant parce que ça laisse imaginer un langage musical nouveau où les paramètres à manipuler ne seraient plus la hauteur et la durée mais d’infimes détails dans la couleur du son, le changement de position du doigt sur la même case, ou de la guitare devant l’ampli pour faire le lares, l’angle d’attaque de la baguette sur la cymbale…. Bref c’est un disque austère mais très riche, plutôt bien enregistré, qui demande pas mal d’écoutes à mon avis, pas forcément pour l’apprécier, mais pour tout comprendre, parce qu’on passe forcément à côté de plein de trucs à la première écoute, des micro détails infimes qui participent pourtant pleinement à l’architecture globale. J’en suis pas encore là mais je peux quand même dire que oui, c’est super chouette, c’est extra fou. C’est tout à plus.