Rashad Becker – Traditional Music Of Notional Species Vol. 1 (Pan, 2013)

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Yo.

Bon je m’étais dit que j’arrêterais de parler de musique bizarre un moment, parce que comme vous j’ai aussi un coeur et c’est important d’écouter des chansons qui parlent de filles et d’amour ; et puis ce disque de Rashad Becker vient d’apparaître dans ma vie comme par magie et c’est pas facile de résister à l’envie de répandre la bonne nouvelle partout sur le web dans la limite de la fréquentation moyenne de ce blog qui est d’environ dix visiteurs par semaine et ce avec une admirable constance depuis des mois (sauf quand je parle de Kap Bambino, de JC Satan ou des Crane Angels évidemment : j’explose les compteurs).

Bref. Oui, Rashad. C’est le mec qui apparait dans les crédits de chaque disque de chez Mego, Pan et d’autres, dans la rubrique “mastering”. Un métier bien mystérieux mais qui fait de lui un gars respectable dans le milieu et surtout assez balaise pour tout ce qui est équalisation, dynamique, blabla. On a au moins l’assurance d’entendre un joli son bien équilibré. C’est la base. Et après plusieurs écoutes je peux vous assurer que ça contentera les plus Patrick Bateman d’entre vous (non c’est pas Batman). La production est flamboyante. Mais en tant que blogueur de musique je vais essayer de pousser l’analyse un petit peu plus loin et voir si ce disque se limite à être le Dark Side Of The Moon des chaines stéréo des années 10 ou si il a d’autres qualités. Bon ok il en a une autre qui est complètement évidente avant même d’appuyer sur start : c’est COURT ça fait même pas 35 minutes. Moi j’aime ça. J’aurais quand même préféré 40 minutes. C’est la longueur idéale d’un album. Là il manque un tout petit quelque chose. Mais ça va c’est ok.

Alors il y a quatre danses, et quatre thèmes. Ou plutôt quatre “danses” et quatre “thèmes”. N’est-ce pas. Oui vu qu’il n’y a ni rythme ni mélodie. Ou alors ce sont des danses pour les machines, avec des cycles tellement complexes, tellement micro et tellement macro en même temps que nous pauvres humains ne captons rien que dalle. D’ailleurs c’est pas un nom de robot Rashad Becker? C’est sûrement un complot. Bref. Le premier morceau c’est de la musique d’ordinateur typique des labels mentionnés plus haut. Mhh. N’y voyez aucun jugement de valeur. On a le droit de sortir un disque sur un label qui sonne comme les autres disques de ce label. C’est pas un crime. Ca ne laisse en rien préjuger de sa qualité. Il y a de la grosse basse bien sinusoïdale. Des couinements aigus qui rappellent que les ordinateurs sont des animaux comme les autres. Beaucoup d’animaux différents une vraie basse cour, ça piaille, ça caquette, ça aboie…. Le design des sons est finalement assez simple. C’est pas un travail de ouf, c’est juste des sons de synthés que Ralph Wiggum pourrait sortir en tripotant 5 minutes les boutons de son MS-20 tout en se curant le nez. L’ambiance est ni pesante, ni trop débilos, on est juste dans le poulailler chez papi robert et mamie jeannette en 1995 (histoire vraie). Je veux dire par là : Rashad, ta musique ne me procure aucune émotion particulière mais ça va, c’est cool d’être là, moi aussi j’aime les poules, les oies, les chiens, les cochons. Sérieux. Je crois que c’est important d’aller au contact de ces animaux qui se sacrifient pour qu’on puisse bouffer des Red Curry au Santosha. Important de savoir que le blanc de poulet ce n’est pas une racine cousine de la carotte. Hein. Important de savoir de quoi on se nourrit, de voir toutes ces bestioles tellement stupides au premier abord, et finalement pas tant que ça. Faire leur connaissance et se rendre compte qu’elles sont toutes des individus singulier avec une personnalité et une histoire propre, même si elle finit généralement de la même manière : dans notre assiette. Ce disque est cool, comme beaucoup d’autres du même style, il procure le même genre d’émerveillement qu’un séjour à la ferme, quand on est petit. On voit tous ces êtres vivants rigolos qui ne sont ni des humains, ni des chiens, ni des chats, ni des pigeons, ni des insectes, autrement dit des sortes d’extra terrestres. On est un peu émerveillé, un peu intimidé, et surtout, on pourrait rester des heures et des heures à les regarder vivre. Le succès du Tamagotchi et de la série de jeux “Creatures” dérive de ça, cette joie de voir un être vivant pas super intelligent vivre sa vie, bouger de manière marrante, manger, dormir, faire ses besoins… Voilà pourquoi, comme d’autres disques déjà chroniqués sur ce blog, je conseille l’album de Rashad à tous les jeunes parents. Faites écouter cette musique à vos enfants. Ce sont les personnes les plus à même de l’apprécier. Mais ne tardez pas trop. Passé trois ou quatre ans, et le premier contact avec la culture disney, hannah montana et les albums ‘génération goldman’, c’est foutu, votre mioche devient aussi inintéressant que vous.

Bon ok peut-être que certains passages font un peu peur. Le deuxième morceau est un peu plus oppressant. Il y a des voix de fantômes, un accord mineur, et des sons un peu plus “in your face”. Le troisième morceau est un peu sombre également mais moins stressant, il ressemble plus à un étang qui grouille de vie, par temps couvert. Il y a du rythme dans celui-ci, un truc de basse vaguement percussif qui fait boum boum à intervalle régulier. Cette fois les sons n’ont pas l’air de sortir d’un ordinateur, pas tous en tout cas. Ca me fait un peu penser à certains trucs de Jim O’Rourke de la série Old News. Le même esprit musique électronique anarchiste fun. Juste fun, pas intello. C’est tellement chiant les disques qui nécessitent la lecture du livret pour devenir intéressants. Nous voilà rendus au quatrième morceau qui sonne comme l’intérieur d’un animal géant. Dans sa bouche. Il y aurait plein de petits parasites collés à la paroi. Le sol serait gluant et mouvant. Ca sentirait étonamment bon comme si les mecs de la pub Fébrèze étaient passés par là. “Jpeux pas croire que je suis dans la bouche d’un serpent géant, ça sent trop bon la sieste sous les pêchers / les champs de lavande”. Mais en réalité ça sent bon parce que c’est un serpent robot, zéro matière organique. N’est-ce pas. C’est de la musique de robot qui imite la vie, je vous rappelle. La vie qui imite les robots qui imitent la vie qui imite les robots. Le serpent finit toujours par se mordre la queue. Mais au fait, pourquoi s’emmerder avec des machines, alors qu’on a à notre disposition une infinité d’objets qui produisent tous des sons différents et parfois super intéressants cool originaux. Les mecs, faites moi un disque comme ça uniquement avec des micros et un magnéto 4 pistes, et je m’engage à votre service jusqu’à la fin de mes jours.

HA voilà donc cette face b qui contient des “thèmes”. Est-ce que la différence est perceptible? Mh oui je crois. Cette fois les sons sont carrément plus étirés, filandreux. C’est plus la basse cour, c’est une rivière, c’est la jungle, et c’est marrant aussi. Grosse basse libellule préhistorique, synthés perruches, il y a aussi des singes. Rashad, c’est un catalogue d’animaux que tu nous as sorti là. C’est pas de la musique traditionnelle contrairement à ce qu’affirme le titre de l’album. Ce sont des field recordings qui viennent de la préhistoire du futur, lorsque les machines pulluleront à la surface de la planète, que l’humanité ne sera plus qu’un lointain souvenir, un mythe, une hypothèse. Il y aura alors des insectes robots. Il y aura toutes sortes de robots qui, libérés de tout impératif de fonctionnalité, pourront enfin laisser libre cours à leur fantaisie et leur âme.

Le deuxième thème évoque un ballon en train de se dégonfler. Plein de ballons qui se dégonflent lentement. C’est pas très positif. Par association d’idée, ça rappelle aussi les problèmes d’impuissance masculine, et de fatigue en général. C’est même un peu triste. Passons.

Le troisième thème est plus tendu, comme si quelque chose d’énorme était en train de se préparer dans la jungle. Les animaux s’excitent comme avant un orage, les singes se balancent sur leur branche en criant, les oiseaux s’envolent, les gros mammifères poussent des hurlements de mort et les mouches ne savent plus où donner de la tête. HYPER SUSPENSE Rashad t’as intérêt à libérer cette énergie avant la fin du disque sinon je t’aime plus et les singes et les tigres et les oiseaux non plus. Hum. Mouai. Ca finit par se calmer à la fin. Comme ça tac tac c’est fini. Pétard mouillé. Dommage, j’aurais apprécié un peu de bruit, un peu de gros noise qui perce les tympans. Je suis sûr que t’en es capable en plus. AVOUE. Bon.

Le dernier thème est un peu malsain. On dirait le son d’un méga charnier d’animaux de toutes sortes, certains pas tout à fait morts (des petits veaux notamment) et un tas de mouches complètement dingues qui ne savent pas par où commencer tellement il y a de la barbaque en putréfaction à la pelle. Des pelles et des pelles de viande pourrie. Des pelleteuses géantes de viande pourrie comme si tous les animaux de la terre venaient crever au même endroit quelque par dans le désert. Ca ferait une sacrée montagne de viande hyper dégueu qui s’élèverait lentement jusqu’à traverser les nuages. C’est méga crados comme morceau on croirait même entendre des vomissements. Oui c’est vraiment des vomissements de bébés vaches. Pourquoi finir sur quelque chose d’aussi sombre et négatif? Je suis déçu. Mais en même temps c’est la nature. Il y a des charniers, c’est comme ça.

Bon bref. Que penser de ce disque? Disons qu’il est digne d’intérêt. Il faut l’écouter. Tout le monde devrait l’écouter. Il est ni bon ni nul, ce qui est déjà mieux que 99% des trucs qui sortent aujourd’hui. Il n’est ni beau ni laid. Il existe, c’est tout. Et quand je dis qu’il existe, je veux dire qu’il n’est pas la réplique d’un autre. C’est une entité à peu près autonome. C’est vrai j’ai parlé de Mego, de Jim O’Rourke, mais non c’est différent, on pourrait balancer plein d’autre noms, mélanger les références, blablabla. Il faut peut-être un peu d’entrainement pour faire la différence, mais deux disques très bizarres ne se ressemblent pas juste parce qu’ils sont bizarres. C’est comme dire que tous les coréens se ressemblent. Gné. Il faut juste apprendre à reconnaître les différences, se familiariser avec de nouvelles formes, un nouveau langage. Ca prend du temps et c’est ça la bonne nouvelle : vous avez du pain sur la planche. C’est tout à plus les craignos.