Smurphy – A Shapeless Pool of Lovely Pale Colours Suspended in the Darkness (Leaving, 2015)

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C’est pas la première fois que j’écoute ce disque et je m’en lasse pas. Projection instantanée dans l’espace, une fille chante en espagnol, ses mots se perdent dans le cosmos et rebondissent, reviennent, se croisent, prennent appui sur une grosse passe, de la trompette de l’espace, des percus de l’espace, moitié acoustiques moitié électroniques, beau bordel mais harmonieux, c’est quoi, du dub ou quelque chose comme ça, du dub 3.0, du dub comme on en jouera sur les colonies lunaires en 2080, sous des bulles, à fumer des gros joints en contemplant le cosmos à travers ces toiles en plastiques hyper résistants du futur, à jouer des instruments du passé, des instruments de la planète mère, qui est sacrément en train d’en chier, enfin pas tous, mais les gens normaux, les pauvres, ceux qui ont pas eu la chance d’avoir des parents bourgeois ou qui sont nés dans un pays en galère. La vie sera pas forcément mieux dans l’espace mais au moins on pourra fumer de la weed hydroponique en contemplant une voûte céleste vierge de toute pollution lumineuse.

Bref les morceaux s’enchainent sans blanc, c’est une mixtape de dub électronique complètement anarchique, tiens là il y a ce gros breakbeat qui traine la patte, une nappe de synthés hyper lâche, reverbérée, cette fille qui dit trois mots démultipliés par le delay filtré, et puis de temps en temps un gros ronron de basses, des pistolets laser, tout ça quoi, plus vraiment éveillé, pas vraiment endormi, état intermédiaire, à flotter en apesanteur, au milieu de cette colonie jamaïcaine sur la lune, les plus heureux les mecs..

Il y a cette pause à un moment, avec des bruits rigolos, des percutions en bois, un peu africain, un peu nurse with wound, bidouillages de voix par dessus, des scratches, et doucement ça se re-remplit, un soupçon de trompette mutée, toujours des scratches, gros kick saturé, franchement chapeau, j’ai jamais entendu ça, dub-musique concrète-hip hop-foutoir électronique. C’est futuriste. Et pourtant je suis pas toujours très fan des trucs qui font dans l’originalité de manière un peu trop forcée.

La cinquième piste s’appelle Wicked, elle est vraiment top, comme les autres, mais un côté plage, pîscine, de l’eau, de la fraicheur, et toujours des étoiles, sauf qu’on est en plein jour, des étoiles en plein jour, comme quand Jodie Foster arrive au bout de son périple, sur cette plage, illusion de plage de Pensacola, Floride, et rencontre cet extraterrestre déguisé en son père, elle est au bord de l’eau, et dans le ciel il y a cette énorme galaxie spirale, et c’est beau. Ouai. merci les ordinateurs de permettre ces mélanges étonnants et beaux. On serait quoi sans vous. Pas grand chose, autre chose…

Un groupe auquel je pense de temps à autres à l’écoute de ce disque : Gang Gang Dance. Vous ne trouverai ce rapprochement nulle part ailleurs, c’est cadeau. Sur Saint Dymphna il y a un peu le même esprit nomade de l’espace, cultivateur de weed sur la lune, mais bon. J’adore Gang Gang Dance, très bon groupe.

Arrivés au track qui s’appelle PyramiDUB le son se fait plus oppressant, moins de respiration dans le spectre, le ronron prend beaucoup de place, c’est une salle des machines, un moteur, atmosphère étouffante, espace confiné, histoire de rappeler où on est quand même hein, oui c’est l’espace, on y est pas naturellement, on a besoin des machines et des ordinateurs pour s’y mouvoir, sources d’énergie, aide à la navigation, grosses carcasses flottantes, rouillées et brinquebalantes, mais ça tient et la preuve, le calvaire ne dure pas longtemps et nous revoilà en extérieur, seuls face au soleil dans notre combinaison de travail ultra fine, les seules ondes nous parvenant étant électromagnétiques. Les ondes radio, le son du cosmos, le son silencieux. C’est le moment mystique de l’album, celui où paradoxalement, face à face avec l’infini, c’est toi même que tu contemples, un trip à la 2001, évidemment. Juste le temps de comprendre certaines choses, que tu n’es rien par exemple, que nous ne sommes rien, même pas des poussières, juste des points, des petits points, qui n’accèdent à l’existence réelle que lorsqu’ils sont reliés à d’autres petits points, ça donne le vertige hein.

La suite devient complètement psychédélique, non pas par essence, mais justement parce qu’elle est placée après cet instant de flottement magique. Il y a du tamtam électronique, du shaker, une sorte de saxo déglingué électronique, toujours cette voix, la même depuis le début du disque, phare de l’espace, pulsar de référence, merci de synchroniser vos montres quadridimentionelles, et voila ça sautille de plus en plus, un pied régulier, tes pieds commencent à taper le sol en rythme, mais ça s’arrête déjà, avec des cordes frappées stridentes, de l’eau qui coule, un carillon, des parasites, question est-ce que c’est le bout du voyage, la grotte secrète où se cachent les réponses à toutes les questions du style pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, qu’est ce qu’il y a derrière, qu’est-ce qu’il y avait avant, pourquoi je suis moi et pas un autre… Je sais pas. Cette fin étrange s’appelle Pisces. C’est une constellation. Ok on sait où on est mais bon. Pas plus avancés. Et voila le disque finit comme ça, avec beaucoup de questions. Mais c’est tant mieux. Il faut se poser des questions, on ignore tellement de choses sur nous, notre place dans l’univers, où j’ai foutu mon ipod, qu’est-ce que je vais manger ce soir, comment paraitre gentil et sexy en même temps, pourquoi je m’embête à faire ce blog. Et ainsi de suite.

Bon voilà c’est tout à plus.