Jon Hassell – Dream Theory In Malaya (Fourth World, Vol. 2) (Editions EG, 1981)

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Disque rayé, machine rotative, impression en couleurs vives, automatique. C’est saccadé et oui, très coloré, presque cartoon. On n’est pas sur Terre soyez-en certains. Même si ça clappe, même si ça bouge, c’est pas humain ni terrestre, personne ici n’aurait l’idée ni même intérêt à faire ça. Autrement dit : ça vaut le coup d’écouter. Il parait qu’il y a de la trompette mais franchement, ça pourrait tout aussi bien être des cordes vocales d’une autre galaxie et d’ailleurs, même si ce n’est pas vraiment le cas, c’est possible.

P O S S I B L E

D’ailleurs, c’est pas si différent de chez nous, je veux dire, ce sont des ondes sonores, différentes pistes agencées dans le temps et dans l’espace, dans le but d’être écoutées. Exactement comme Despacito. Sauf que bon, là on n’est pas dans une boutique d’alcool à la Jonquera. On serait plutôt au bord d’un lac rose, avec vue imprenable sur une très belle galaxie spirale, de petits êtres aux yeux tous noirs trempant leurs 5 pattes et demi dans un gaz liquide qui leur fait du bien. Patauger dans l’eau, c’est bien, surtout en été. J’aimerais être au bord d’un lac en ce moment, et aller me baigner tout nu. J’en ai eu l’occasion un jour, enfin, plutôt une nuit, on avait mangé des champignons magiques. Mais même dans cet état, j’ai préféré garder mon caleçon. Je suis un cas désespéré. Surtout par pitié, ne soyez pas aussi bêtes que moi.

Il y’a ce truc au début du disque, enfin presque, qui s’appelle Courage. Je sais pas trop pourquoi. Il y a des tam tam indonésien, de la guitare mini éléphant, une basse toute timide, c’est de la musique de transe. Donc toi même tu sais que c’est bien pour toi, pour ton corps, pour tes membres, pour ton ventre, pour ton cerveau, et même probablement pour tes cheveux. Tu dois juste te laisser aller et BOUGER. Bouger au même rythme que ces tam tam d’une autre galaxie joués par de petits êtres aux yeux noirs et aux 5 pattes et demi. Les propriétés physiques du cosmos font qu’on retrouve dans chaque galaxie le même genre de musique répétitive : c’est juste que ça fait du bien. C’est rassurant la répétition, c’est une base stable, une rampe de lancement cérébrale, on en a besoin pour partir aussi loin que le permet notre immense potentiel d’être vivant et intelligent. Même mon petit chat kiffe la musique répétitive mais je crois qu’il aime toutes les musiques. Il s’allonge devant une enceinte, la mine satisfaite, les yeux entrouverts, on devinerait presque un sourire.

Ne croyez pas du tout ce que vos yeux vous rapportent : les titres des morceaux ont beau évoquer l’asie du sud est, vous n’y êtes pas du tout, vous êtes 

AILLEURS

Pas la peine d’imaginer où, puisque c’est ailleurs. J’en veux pour preuve ce morceau qui s’appelle Datu Bintung at Jelong. C’est comme une pulsation d’échiquier violet dont l’amplitude varie de 4 cases à 128 cases en clignotant clair foncé clair foncé et pendant ce temps Zlorb joue de la trompette molle en essayant de charmer un dauphin violet lui aussi, (les dauphins violets possèdent un venin mortel, attention).

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Le morceau suivant c’est pas mieux : on y entend des fantômes, un gamelan à la limite de la transparence, une voix faite d’une dizaine de cordes vocales oscillant à des fréquences différentes. Le résultat n’est pas très sérieux à nos oreilles et pourtant, ça l’est, sans doute. C’est juste que tout ça est tellement exotique. Mais beau oui. Pourquoi c’est beau ? Parce qu’une fois passé l’effet de surprise, et à condition de pas être trop con c’est à dire fermé c’est à dire prisonnier de son ego et de ses petits goûts personnels, on finit par se laisser pénétrer par cette harmonie spatiale à la limite du feng shui pour les oreilles. Hop un peu d’eau, hop un petit carillon dans un coin, hop la vue dégagée devant soi, suffisamment de vide pour que les énergies circulent et ne s’accumulent pas… C’est presque à en chialer tellement c’est fou et ordonné en même temps. Et tout ça les pieds dans l’eau, au bord d’un lac de gaz liquide violet donc.

La voix tente-t-elle de nous dire quelque chose ? Parfois elle est douce, et puis d’un coup elle s’excite, il y a probablement un sens. Et puis c’est quoi ces notes, cette gamme, non mais. Oui je sais, c’est Jon Hassell qui joue de la trompette, et probablement qu’il y a Brian Eno quelque part qui brouille et multiplie les fréquences. Je me demande ce qu’ils fumaient à l’époque, ou ce qu’ils mangeaient. Bon oui, ils sont arrivés au moment où les acides étaient encore presque mainstream. Et tant mieux, parce que par exemple, ça a conduit Jacques Brosse, par un coup de billard à 3 bandes, à devenir un des premiers moines Zen français et ça c’est une bonne chose.

Alors le disque se termine tranquillement, oui il est un peu court mais j’ai quand même pas mal écrit désolé. Je voulais juste dire que si tu as aimé cette musique, tu pourrais être intéressé par ce truc qu’on appelle Dolphins Into The Future, puisqu’on retrouve cette même mono/poly voix de trompette trafiquée, même si le procédé est probablement un peu différent. On retrouve aussi les mêmes gamelan transparents, et puis de l’eau, beaucoup d’eau. Ça se passe dans les Açores d’un univers parallèle où des dauphins portugais auraient construit des cités sous marines et ne se déplaceraient jamais sans leurs google glasses pour dauphins (localisation des bancs de poissons, consultation de recettes de cuisine, paiement en ligne basé sur la signature vocale ultrasonique, snapchat pour dauphins). Tout ça !

Bon. C’est tout.