James Ferraro – Four Pieces For Mirai (2018)

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Ça commence au bord de l’eau. Petites fontaines solaires, harpes, tout porte à croire qu’on est projeté au bord de la mer Egée à l’époque d’Hercule avec Kevin Sorbo sauf que finalement un nain nous apporte un modem Alcatel sur un plateau, grzzouiuouuouoouk tudutuduu tuduuu frrrrrrrouuuip oui allo c’est Kevin Costner je sens que vous êtes sur le point de plagier mon film Waterworld.

Ah merde. Ça commençait bien. Mais après ces quelques turbulences électriques on retrouve le calme du début enfin zut non encore des parasites et des petites bestioles qui nagent dans l’eau et tentent de manger un peu plus que tes peaux mortes.

Bon. Quelques instants plus tard on prend de la hauteur. 3d isométrique, ambiance Sim City 3000 et vibraphone minimaliste. C’est entre Sim City 3000 et Ecco le dauphin ; le futur tel que je l’imagine, un futur où seuls les êtres les plus évolués spirituellement auront survécu, évoluant dans les ruines d’un monde bâti par des hurluberlus beaucoup moins éveillés. Mélancolie.

Le monde tel qu’on le connait finira par disparaitre. Probablement, certaines ruines subsisteront alors que toute trace écrite aura disparu. Ou alors, l’information produite par l’humanité a déjà contaminé le réel de manière irréversible. Mais non. Une bonne éruption solaire, un changement de pôle magnétique et c’est bon, tout se casse la gueule.

La musique de James Ferraro explore le futur oui mais un futur qui ne sera pas forcément le nôtre. C’est le futur pessimiste qu’on pouvait prévoir en 1995, un futur fait de sounfonts, de soundblaster 32 voire 64, de films post apoco avec Kevin Costner et de jeux video 16 bits avec des dauphins écolos. C’est un futur possible mais peu probable. Qu’est-ce qu’on en sait, après tout. L’esthétique de nos jours, c’est plus ce que c’était. Ça va, ça vient. Ringard un jour, branché 15 jours plus tard. Attendez encore une petite semaine et ça devient mainstream, mes collègues l’ont tous dans leur playlist deezer, dans leur garde robe ou quoi. Au final, tout est bien, ou pas. Tout est moderne. La culture est une sorte de grosse bouillie fluide. C’est bien, parce que la culture c’est de la merde. Ce qui compte c’est la singularité et l’expérience immédiate. Et la pacification de la communauté par d’autres moyens que la propagande, les histoires de super héros et les leçons de morale. Aux chiottes la Bible, aux chiottes la Grande Librairie. Vive James Ferraro.

Bon avec tout ça j’en oublie les trucs vraiment importants : la musique. Il y a plein de voix, les voix fantomatiques de la 2e piste de “Music for Airports”. Des synthés sans âge, des cristaux taillés aux millions de facettes, de l’eau plate et pétillante, un peu de générique de série d’action, des choeurs.

Impression de flux continu sans début ni fin : sans histoire ou même avec un grand H. 

L’Histoire se terminera avec les hommes. Ensuite, ce sera autre chose, l’histoire naturelle dont tout le monde se fout. James Ferraro a peur de la fin du monde. C’est normal. L’humanité est capable de très jolies choses. Les pyramides par exemple. Les sacrés de Birmanie. Les rizières. L’amour. Personne n’a envie que tout ça disparaisse. Il n’y a pas de super vilains dans la vraie vie. Seulement des ignorants qui se trompent sur les moyens. Hitler, Daesh, les bassistes fretless, ne sont que des brebis égarées.

Four Pieces For Mirai by James Ferraro

Tu te rappelles de ce truc dont je parle sans arrêt, Dolphins into the Future ? Non, alors va vite écouter Canto Archipelago. C’est globalement aussi bien que ce nouveau EP de James Ferraro, un peu moins ambitieux peut-être.

Oui James Ferraro est ambitieux, il essaie de faire de la musique compliquée, avec plein de mélodies qui s’enchainent et se superposent, de parties différentes, des instrument et des textures de son à la pelle, et malgré tout une incroyable homogénéité dans le droit fil de tout ce qu’il fait sous son propre nom depuis le début. C’est une sorte de petite symphonie. Un poème symphonique, comme l’oiseau de feu ou je sais pas quoi. James Ferraro c’est le nouveau Stravinsky. Il doit être pris méga au sérieux, parce que sa musique est méga sérieuse. Il est à la pointe de la pointe de l’avant garde. Pas sûr qu’il se renouvelle encore vraiment, mais personne ne l’a encore vraiment rattrapé. Tout le monde essaie, par contre. Lopatin, Arca, PC music, Fire Toolz, Orange Milk. Pour les plus avancés. Le reste, à la maxi traine, des années lumière derrière, et tout en queue à l’autre bout de l’univers, il y a Vianey et Soprano et ce gitan du périgord là.

Bon je résume : un immeuble en ruine, à moitié immergé. Un petit ilot de fortune aménagé pour des mutants centaures qui ne savent pas parler mais sirotent sans problème leur jus de sardine dans des verres à cocktail. Servis par des nains qui tiennent un modem 33.6 sur un plateau. Ils se le branchent directement dans le nombril, leurs yeux se couvrent d’un voile laiteux, ils sont propulsés dans le cyber espace. Là, ils cueillent des cerises et des fraises, dans  les ruines des sites VR des GAFA, sans savoir du tout à quoi ces endroits servaient, ni d’ailleurs ce qu’était un site web. Pour eux c’est juste deux plans de réalité différents qui ont toujours été là, et ils ne doivent qu’à leur instinct de pouvoir naviguer entre ces deux plans de réalité, instinct gravé dans leurs gènes et leur software (oui ce sont des hybrides mais chut), comme nous on a l’état de veille et le sommeil.

Ah tiens, à la fin une chanson. “A la OPN” /// Décidément, j’adore ces voix à la Brian Eno. Elles sont absolument inhumaines.