Xiu Xiu – Girl With Basket Of Fruit (Polyvinyl, 2019)

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Le disque démarre et on est assommé de sons et de voix et de mots aussi étranges que “The baby duck in you has died / Push it out and F-word a duck / It’s a bad time to be a duck”

Sachant qu’il dit vraiment “F-Word” et pas FUCK. La musique est du même tonneau c’est à dire brutale, absurde et pourtant parfaitement cohérente. C’est percussif, exotique, mais très occidental quand même, j’imagine bien un John Lennon défoncé imaginer ce genre de musique à l’époque du White Album. Il aurait tellement adoré ce disque. Ça frappe, ça visse, ça sature, ça sautille, ça tinte. Je conseille d’écouter plutôt fort et de danser tout nu. Avec des colliers de dents autour du cou et des fruits des fruits pourris partout. Et le symbole BLUETOOTH dessiné au marqueur indélébile sur le torse. Animal Collective a pu faire des trucs de ce genre il y a longtemps, tout comme le comte de Lautréamont, et surtout surtout surtout Black Dice. Oui vous vous rappelez de Black Dice, Eric Copeland, tout ça ? Vous feriez bien d’aller voir, surtout un disque qui s’appelle Hermaphrodite. Moi ça me rappelle tout une époque de drogues hallucinogènes et d’ambitions socio politiques absolument démesurées. C’était avant Netflix et Uber.

Le second morceau est un peu plus dark mais tout aussi surréaliste, genre Nurse With Wound surréaliste, avec en bonus un petit riff d’orgue qui me fait légèrement penser à “Sing Hallelujah” mais ok ça c’est ma tendance à toujours tout ramener à l’eurodance des années 90 et aux années 90 de manière générale. Cette musique transpire la folie. C’est bien. Ce monde n’est pas assez fou. Ceux qui se prétendent fous ne le sont généralement pas trop voire pas du tout, et ceux qui le sont réellement s’autodétruisent assez vite. Il reste une poignée de vrai dingues en équilibre au bord du précipice, dont une partie vit enfermée en prison ou en institution, l’autre essaie tant bien que mal d’extraire tous ces monstres de sa tête sans formément y arriver.

Le troisième morceau me rappelle un peu Scott Walker, mais en plus surexcité. Avec du violoncelle et c’est a peu près tout. Ça parle de mort, de Dieu, de chair, et il y a beaucoup d’onomatopées. Encore une fille. C’est probablement celle avec un panier de fruits. Y aurait il un concept derrière cet album  ? mh ça ne m’étonnerait pas.

Ok j’arrive au 4e morceau et j’ai toujours du mal à m’acoutumer à cette ambiance infernale. Une belle grosse métastase surréaliste, une psychanalise punk qui doit autant à Jerôme Bosch qu’aux albums récents de Scott Walker. C’est pas totalement n’importe quoi donc, il y a du skill. Les paroles sont intéressantes, je crois qu’en les analysant bien on peut en tirer pas mal de choses. Il est souvent question d’une fille aux cheveux peut-etre blonds et qui pourrait être ou ne pas être morte ? Qu’il y ait ou pas un fil conducteur entre les morceaux, c’est de la très belle poésie, qui parle du MAL, et de la souffrance, et de tellement de choses.

Le 5e morceau ne m’aide pas beaucoup. Il faut imaginer la dictée magique dans une boum de clochards du XXIIe siècle, sous un pont. Elle est assise sur un petit tabouret et elle chante “Loner, loner, right, right, loner, loner, right, right”. Pendant ce temps un vieux clodo joue une seule note sur sa contrebassine et il y a aussi des jeunes qui tapent sur diverses choses avec des petits batons. Un mec a aussi son smartphone avec une appli de TR 909. On comprend pas tout. Est-ce que j’ai mentionné David Lynch ? Non. Voilà c’est fait. Décidément je ne comprends pas ces multiples références et niveaux de lecture et pistes et tortillons et c’est tant mieux. C’est très rafraîchissant et aussi ça me rappelle que je n’ai pas ingurgité de CHAMPIGNONS (oui, ceux là) depuis un million d’années bordel.

Petite séquence émotion ensuite, une sorte de fantômatique collage de mots et d’expressions “Charismatic, a trapped rabbit / Carpet beetle, huhu grub / Rice weevil, flatworm / Mealy bug, field cricket / Grass grub, caterpillar / Head louse, utopia“

Musique TRISTE. Joli violoncelle une fois encore. Merci beaucoup c’est un très bel instrument. On dirait un peu ce morceau instrumental de The Downward Spiral. Mais là il y a des paroles. Je me rappelle avoir vu Xiu Xiu dans la cave du Saint Ex un soir. C’était pas aussi beau, pas aussi fou, et malheureusement c’est à peu près tout ce dont je me rappelle. Ah si, en début de soirée j’avais fais connaissance avec une superbe poubelle à couvercle automatique chez Mathilde. Et on avait bu de l’alcool. Bref. Ici on est dans la 5e dimension et demi, un peu coincés, désorientés, et franchement c’est dur de penser à autre chose qu’à cette musique, c’est vraiment pas de l’ambient, c’est de la musique SUPER PRÉSENTE.

Le morceau suivant mentionne une certaine MARY TURNER qui serait morte à 19 ans. Elle était noire et elle a été tuée dans les années 10 parce qu’elle a protesté contre le lynchage à mort de son mari. Aussi, elle était enceinte de 8 mois. C’est bien triste. Donc bon, ne pas mettre cette chanson le soir où tu invites des gens à moins qu’ils ne soient un peu bizarres. 

On arrive presque à la fin. Il y a ce morceau qui commence par des petites bulles cracra puis un orchestre d’Amazonie, un accord dissonant, des bestioles de la jungle, toujours l’Amazonie mais l’Amazonie pas cool, l’Amazonie style Cannibal Holocaust, et chose étonnante elle parle d’une sorte de refuge pour drogués et SDF à Los Angeles qui existe vraiment et qui s’appelle SIMONE HOTEL. Toujours les clochards, la frange, la marge, la folie, mais qu’est-ce qui te fascine là dedans JAMIE, dans toute cette bizarrerie. Toi même je ne pense pas que tu sois si fou que ça mais tu sais t’imprégner de folie, tu la comprends, et tu l’aimes.

Dernière chanson, magnifique. C’est un peu le HURT de l’album. D’ailleurs il y a une ligne de parole qui est exactement comme dans la chanson de Nine inch Nails. Normal Love. "What have you become? / I can’t say so / Yet run full-on to / Run towards nothing”

J’aime ce style qui hocquette, qui zigzague, qui s’adresse plus à ton inconscient qu’à ton MOI débile. C’est peut-être ça que tu aimes Jamie, le fait que chez les fous c’est l’inconscient qui a pris le pouvoir. Ils vivent dans les profondeurs de leur âme. Ils côtoient des monstres que les gens normaux gardent enfouis bien profond dans leur tête. Mais il n’y a pas que des monstres. Il y a tout un tas de choses tellement belles, et vraies, et dangereuses, signifiantes, absurdes mais signifiantes OUI, il y a la liberté aussi, la puissance créatrice et destructrice, la puissance infinie du cerveau humain, qui n’est que le réceptacle de la conscience cosmique, d’une puissance infinie. Les fous sont une avant garde de l’humanité, ils sont en contact direct avec toutes ces choses, ils méritent respect et bienveillance. Personne n’aime autant qu’un fou, même si ça ne dure qu’une semaine, une journée, une seconde. Les fous détiennent la vérité, les fous Voient. Le monde réel ressemble à ce disque de Xiu Xiu, que tu le veuilles ou non. Te l’infliger une fois par jour, c’est comme méditer devant un tas de cadavres, ou partir vivre un mois dans une cabane en Alaska, ou devenir bénévole dans une association d’aide aux clochards schizo.

Merci les copains.