QU’on se le dise ISA = JESUS.
Hello voici un disque qui parle de jésus, de technologie, et d’humains.
Il commence avec des voix, des tas de voix, comme un patchwork de voix qui se déchirent et se brisent comme du verre. En fond, des anges. All angels meet again, c’est une phrase qui revient encore et encore. Ça flotte, c’est synthétique.
Des robots qui chantent avec de l’autotune, une boite à rythme d’ordinateur, des violons échappés de twin peaks. Vous n’avez pas l’impression vous, qu’un nouveau genre de musique est en train d’apparaitre, et que pas grand monde n’ose le dire, le théoriser, en parler à part quelques hurluberlus sur Tiny Mixtapes ?
C’est quoi ce style là, de musique d’ordinateur qui parle de cyborgs, de mutants et de fin du monde, qui ne ressemble à rien, qui pioche dans tout, le psychédélisme, la techno, la pop, la musique industrielle, et des milliards de petites niches venant se loger dans les interstices.
C’est la musique qui décrit le mieux le monde tel qu’il est aujourd’hui. On vit dans ce monde là, où la disparition de toute autorité morale ou spirituelle, entraine une explosion des formes d’expression, des modes de vie, des looks,
et donc on se pose dans sa chambre d’hôtel avec son petit macbook, on crée un projet vierge dans Live, et on essaie des tas de choses, des sons bizarres de toute origine, des effets improbables, on fait sa tambouille avec des samples de taylor swift et des kits de batterie téléchargés via bittorent, et puis on invite quelques copains comme Puce Mary ou Yves Tumor parce que c’est plus marrant de faire de la musique à plusieurs, et tout ça est guidé par la seule force valide et pertinente dans le monde de l’art et dans la musique en particulier : l’intuition.
On sent bien que cette musique est faite avec le ventre. C’est pas parce que des voix synthétiques peuplent ces pistes que c’est pas fait avec le ventre. Tout ça n’est que pure impression, sensation,
Il se trouve que lorsqu’on s’arrête 5 minutes et qu’on écoute ce que son ventre a à nous dire, ça fait peur.
Le monde court à sa perte. C’est triste. Tout ce que l’humanité a construit est sur le point d’être démoli, le beau comme le laid, le bien comme le mal. Sans parler de ce qui était avant que nous soyons. Notre intellect est submergé par la réalité tangible, les éboulements, explosions, incendies, inondations, mutilations. On sort de notre bulle pour la simple raison que celle ci a éclaté contre un mur plein de gros piquants rouillés dégueulasses.
Arca, Oneohtrix Point Never, Daniel Ferraro, Croatian Amor, Sophie, Elysia Crampton, Chino Amobi, Rabit, même Bjork parce qu’elle est toujours solidement ancrée à la proue.
Ils nous racontent tous la même histoire.
Ce qui est intéressant, ce n’est pas leur description de l’effondrement, parce qu’il suffit d’écouter les infos pour en avoir le tableau le plus précis, à condition de savoir lire entre les lignes bien sûr. C’est plutôt leur exploration du champ des possibles qu’offre cette période pré apocalypique.
Le bonheur est possible, la beauté est possible, et les germes d’un nouvel âge d’or sont déjà là. Même en sachant que nous sommes tous condamné à mourir de faim ou d’ennui sur un bateau qui coule, nous sommes capables de créer de belles choses, de vivre de belles histoires, pour la simple raison que la beauté est consubstantielle au cosmos et elle en est probablement la vérité première. Le monde est beauté. C’est un message d’espoir. C’est pas du black metal. C’est chiant le black metal. Ici nous avons affaire à un nouveau Gospel, le véritable gospel mutant et syncrétique du 3e millénaire.
Certes c’est aussi une musique qui parle de solitude. Malgré quelques invités plus ou moins prestigieux (ça dépend où tu te situe sur l’échelle de la hype), c’est quand même le produit de longues nuits de bidouillages solitaire, dans l’obscurité, avec pour seul éclairage l’interface sobre et fonctionnelle d’une “digital audio workstation”. Bref c’est pas très convivial. L’expérience de cette musique aussi, côté auditeurs, est éminemment solitaire. On ne parle pas en écoutant ça. On ne va pas au concert pour boire de la bière en dansant avec ses amis. Dans le meilleur des cas on invite quelques potes, on allume quelques bougies et on fait tourner un joint en disant peut être quelques mots entre deux chansons. C’est la solitude de l’humanoïde qui a fusionné avec ses appareils électroniques, et dont le rapport au monde est médiatisé par un système de collecte, de traitement et de restitution de données numériques.
C’est une musique numérique. Mais c’est pas un problème pour moi. Jeff Mills, Burial, et quelques autres, ont contribué à prouver qu’il était possible d’insuffler de l’âme à des machines. OK. L’homme possède ce pouvoir magnifique, d’animer tout ce qu’il touche. C’est peut-être qu’il n’est pas si spécial que ça. C’est ce que je crois. L’homme n’a pas plus été fait à l’image de dieu qu’un chat, qu’un poisson rouge ou qu’un caillou.
Dans tout ce bazar apocalyptique, les gens vraiment éveillés aboutiront à la révélation suivante, la même qui se transmet de génération en génération aux quatre coins du monde depuis l’aube de l’humanité : le cosmos est UN, nous participons tous de la même substance divine, et notre véritable but est d’accéder à la Conscience.
La mélancolie s’ancre tout autant dans le futur que dans le passé. Les buzzcocks chantaient : nostalgia for an age yet to come. C’est peut-être la meilleure manière de décrire ce disque de Croatian Amor.
C’est en tout cas ma conclusion provisoire.
Bye.