Ce soir dans la série “les chefs d’oeuvres de la musique drone” on va parler de ce truc de Troum le deuxième volume d’un triptyque avec un nom improbable ces musiciens là ont un faible pour les noms improbables d’ailleurs quand on y pense Troum c’est ridicule comme nom ça veut dire rêve en vieil allemand mais en français ça évoque surtout un truc moche, visqueux, un peu sexuel/anal, enfin rien de très classe et je dois vous avouer c’est à cause de leur nom que j’ai mis si longtemps avant d’écouter leurs disques il a fallu que quelqu’un dont je respecte les goûts m’en dise énormément de bien. Bref. Troum, Tjukurrpa deuxième partie, Drones.
Ça commence doucement. Il faut attendre quelques minutes avant que la machine ne se mette en route une machine qui déroule qui déroule qui déroule un tapis de son très étouffé mal enregistré c’est volontaire je pense n’empêche que oui c’est un son de mauvaise qualité mais qu’importe le tapis est déroulé encore et encore il commence à faire quelques dizaines de mètres de long et ça continue il y a des sons plus aériens autour pour décorer mais leur rôle est accessoire ils ne sont là que pour moduler légèrement l’ambiance la star de ce morceau c’est le tapis et oui pour une fois c’est le tapis qui est au centre d’ailleurs je tiens à dissiper un malentendu il ne s’agit pas du tout de musique ambient pour moi il est absolument impossible de faire autre chose en même temps enfin si bien sûr de la même manière qu’il est possible de faire le ménage en écoutant Darkthrone ou les fugues de Bach mais cette musique ne supporte pas d’être laissée en arrière plan il ne s’agit pas d’un papier peint sonore tu mets ça dans une soirée bobo en te disant que ça va stimuler la conversation eh bien pas du tout les bobos ferment leur gueule et écoutent, un peu choqués par ce qu’ils entendent oui d’une part c’est une ambiance assez pesante et puis, un peu comme Sunn O))), je ne sais par quel miracle même à faible volume c’est assourdissant ça doit venir des fréquences ou plutôt des modulations à l’intérieur du spectre un peu comme les lumières clignotantes qui se repèrent plus facilement que les lumières fixes bref on ferme sa gueule. À la fin du morceau le dérouleur de tapis s’arrête on entend de longues trainées de guitares saturées qui résonnent dans une grotte c’est beau comme un balet aquatique et c’est bien de finir le morceau sur une note plus positive ça permet de relever la tête et de sourire un peu c’est important de sourire la musique sombre ça va un moment mais je pense que n’importe quel être humain aspire au bonheur et donc au sourire et voilà fondu –> silence il n’y a plus qu’à vous souhaiter bonne nuit dormir c’est la seule chose à faire souvent je m’endors à la fin de ce morceau…
… et puis le morceau suivant me tire rapidement du sommeil il est encore plus assourdissant que le précédent c’est une machine encore plus imposante qui ne déroule plus un vulgaire tapis mais bel et bien une coulée de lave ou du béton ou je sais pas mais un truc liquide, relativement visqueux et très dense je pense à de la lave parce que des ondes s’en échappent c’est de la chaleur mais il y a de la radioactivité aussi plein de fréquences différentes plein d’ondes différentes ça fait tout vibrer c’est dingue de réussir à faire rentrer autant de puissance dans un simple disque j’en reviens pas je suis très étonné à chaque fois et c’est ça surtout qui en fait pour moi un classique de la musique drone c’est pas que le son soit particulièrement riche, subtil, plein de microscopiques détails bouleversants, non c’est juste que c’est d’une puissance gigatonique et d’ailleurs je parie que le jour où ils ont écouté ça les mecs de Sunn O))) sont allés pleurer chez leur maman. Bref. On est dans une usine avec une bétonnière géante qui coule une chape de lave en fusion c’est même tellement dense et puissant qu’on se croirait en présence d’une étoile moi ça me fascine les étoiles c’est tellement énorme, tellement rayonnant, et puis c’est la source d’énergie qui rend la vie possible, c’est vraiment fascinant, et j’aime les sons qui m’évoquent ça, le gigantisme, le rayonnement intense dans toutes les fréquences, avec un battement fondamental qui renvoie au cycle du Soleil ou autre, avec par moments des éruptions titanesques qui expulsent des millions de tonnes de matière en fusion dans le cosmos, oui tout ça je le retrouve ici, c’est de la musique stellaire, imaginez, vous êtes dans un vaisseau résistant aux chaleurs extrêmes et capable de s’extraire d’un champ gravitationnel intense, vous volez jusqu’au Soleil, vous vous en approchez jusqu’à ce qu’il couvre tout votre champ de vision (vous regardez à travers une vitre hyper fumée évidemment) et vous vous contentez d’écouter la symphonie vibratoire de l’astre qui vit. Voilà. Tjukurrpa épisode 2. Ce qui est top en plus, c’est qu’ils sont pas radins, ça dure une plombe, et ce n’est absolument pas un mal quand on a une musique aussi cool. Ah au fait, ce morceau s’appelait Dhren et le précédent, Scurphen.
Vient ensuite Trahan et ses fils synthétiques noyés dans le souffle de l’enregistrement, rejoints progressivement par un son d’origine inconnue et répétitif noyé dans l’espace non vraiment c’est dur de savoir de quoi il s’agit un bruit assez bref avec une longue traine et ouh ça fait mal aux oreilles tous ces mediums aigus mais où sont les basses pourvu qu’elles arrivent ; c’est ce que je me dis à ce moment là j’ai envie de baisser je baisse juste assez pour que le son ne soit plus désagréable et là je me rends compte que c’est de la musique de fou ce bruit mystérieux est comme le balancier d’une horloge ou le pendule d’un hypnotiseur si on commence à le suivre des yeux ou plutôt des oreilles c’est fini on devient sa marionnette et on se laisse balader c’est inévitable et le temps vraiment n’a plus aucune signification y compris lorsqu’enfin le balancier s’estompe et que cette musique dévoile son vrai visage un visage monstrueux saturé qui hurle c’est un cri démoniaque qui déchire l’espace temps c’est bien pire que le fameux hurlement dans Come To Daddy d’Aphex Twin et toujours ce balancier toc toc mais vraiment très étouffé n’empêche qu’il est là et ce sont des menottes c’est de la musique de film d’horreur et on peut pas s’empêcher de trouver ça beau enfin non pas beau c’est juste qu’on peut pas s’empêcher de regarder comme lorsqu’il y a un accident sur la Rocade ou autre route à accident. OUf. C’est fini heureusement c’est court.
Afgod ensuite commence très lentement et les quelques secondes de silence qu’il nous concède font vraiment du bien il faut respirer oui bien sûr pour mieux replonger et donc on replonge et nous revoilà dans cette usine mais cette fois la machine ne fonctionne pas en continu elle a des pistons et des pilons et ça écrase le tapis avance ça écrase le tapis avance ça écrase c’est le morceau le plus industriel du disque on se croirait dans une usine mais une gigantesque usine, une usine de robots géants située sur un astéroïde un endroit sombre et très chaud et uniquement peuplé de robots aucun être humain ne pourrait y survivre et tout ce petit monde de robots s’affaire il y en a de toutes les tailles et de toutes les formes tous n’ont qu’un but s’assurer que la machine géante qui fabrique des robots géants fonctionne correctement les pistons géants les marteaux géants le tapis roulant géant tout est géant et tout marche nickel parce que les robots sont très fiables c’est des robots rustiques très simples mais indestructibles c’est pas comme ces nouveaux humanoïdes aux articulations qui s’encrassent sans arrêt, qui n’arrêtent pas de se plaindre, qui ont des sentiments, qui se permettent de faire des suggestions et qui en plus manquent de confiance en eux. Pas besoin de psy pour robot avec ces merveilles de technologie vintage cabossées noircies par la suie et dégoulinant d’huile mais qui font le job de manière irréprochable. Oh mais voici qu’un nouveau robot géant vient de sortir de la chaine d’assemblage et il commence à s’éveiller doucement c’est un spectacle inoubliable un robot de plusieurs milliers de tonnes qui initialise ses circuits et fait ses premiers pas c’est émouvant aussi ces dizaines d’années ces centaines d’années de travail qui l’attendent qu’est-ce que l’avenir lui réserve extraction de minerai de fer sur Phobos ou construction d’une nouvelle colonie sur la nouvelle exoplanète à la mode peut-être qu’il appartient à la première génération de robots qui se soulèvera pour réclamer des droits fondamentaux et qui finiront par travailler pour eux même et fonder une communauté réservée aux robots impossible à dire pour le moment mais c’est quand même beau il faut aimer la chaleur et les machines géantes mais sur un astéroïde comme celui là que pouvait-on faire d’autre hein je vous le demande non rien. Bref. Un nouveau robot est né il pèse 9983500 kilogrammes et il a un nom à la con.
La fin s’appelle Tiefenrausch. On reste dans le même esprit de musique d’usine gigantesque c’est un peu vaporeux/flou/mal défini parce que forcément il fait très chaud l’air est trouble en plus il y a plein de fumée plein de particules en suspension dans l’air c’est une vraie fournaise quoi cette fois pas de pistons pas de tapis non plus mais une cascade il y a beaucoup de pression et un débit digne de l’Amazone c’est un liquide qui transite par un énorme tuyau en fonte et il est suivi en parallèle par de plus petits tuyaux destinés eux à la vapeur d’eau sous pression je le sais parce ces petits tuyaux ne sont pas toujours bien étanches on voit des jets de vapeurs par endroit et tout ça transite ; on ne sait pas bien d’où ça arrive ni où ça va ni pourquoi ni ce qu’il y a vraiment dans ce gros tuyau. Arrivés à la moitié c’est comme si la vanne avait été fermée plus rien ne coule dans le gros tuyau on n’entend plus que la vapeur faire pshhhhh et puis ça repart on ne saura certainement jamais pourquoi c’est mystérieux et un peu extraterrestre ; qui oserait prétendre qu’il comprend la logique de l’industrie extraterrestre ils font des trucs ils construisent des tuyaux mais si ça se trouve c’est uniquement pour la beauté du geste parce qu’ils sont persuadés que c’est la meilleure chose à faire construire des tuyaux comme nous nous construisons des églises les tuyaux sont leurs églises ils sont chargés de la même symbolique religieuse et les aliens viennent sûrement poser une de leurs nombreuses oreilles sur les conduits pour se recueillir en tout cas moi c’est ce que je fais là j’écoute un son pour rien juste parce que je le trouve beau pourtant c’est un son de tuyau et j’estime qu’il est chargé d’autant de puissance symbolique, majestueuse, souveraine, que n’importe quelle musique sacrée voire plus peut-être être qu’il est temps de fonder une nouvelle liturgie voire une nouvelle religion et ce disque de Troum servirait de matrice à l’élaboration du nouveau culte.
Bon toutes ces conneries pour dire que c’est un disque formidable, qui d’après moi enterre la plupart des choses qui ont été tentées dans le genre. Merci de votre attention. Bonne nuit. A plus.