Dès les premières secondes on sent que ça va pas être un disque fun. C’est tellement lent. Mais assez agréable. C’est de la musique synthétique, agrémentée de petites touches de guitares. Assez discrète, la guitare, pour un mec qui a l’habitude de jouer sur quatre amplis en même temps. Beaucoup de basse, des formes d’onde assez basiques, mais plus complexes quand même dans le haut du spectre. Il y a un côté kaléidoscopique, mais soft. Beaucoup de transformations à la marge. En fond, discret mais présent, une sorte de bruit concret, un papier roulé en boule lancé dans une corbeille. Ou des pas dans la neige. Je sais pas. Bref. C’est un tapis persan pour les oreilles. Il donne envie de s’allonger, de se laisser porter par le son en regardant le plafond onduler. Oui vous voyez le genre. C’est quand même mieux de cette manière.
La progression se fait lentement mais sûrement. La basse reste stable, bourdon qui en impose, majestueux, profond ; mais tout un monde se construit à l’étage supérieur, voire deux étages plus haut. Des robots microscopiques s’affairent, construisent des architectures de plus en plus extravagantes, aberrantes. On les entend travailler, de petites scies, de petits marteaux piqueurs, de petites grues. C’est de la musique micro industrielle, de la musique de BTP pour robots lilliputiens. De la musique de vie artificielle.
Ensuite, il y a quelque chose de beaucoup plus vivant. Qui ressemble à de la musique sacrée, mais un peu détraquée. Réverbération d’église, cordes qui résonnent à l’infini. C’est une cathédrale faite de gigantesques plaques de métal. Une basse fait son apparition au bout de deux minutes et quelques. Logique. J’imagine pas ces mecs faire de la musique sans basse. Ah oui, les présentations. À ma gauche, Stephen O’Malley, doomster rigolo/intello de Sunn O))), Khanate et tout un tas d’autres groupes qui ont en commun une obsession pour le son massif et ultra travaillé. Une sorte de sculpteur heavy metal. À ma droite, Peter Rehberg, alias Pita, sale punk digital/intello qui ne fait pas les choses à moitié. Son label, les éditions Mego, est sacrément cool. Bref deux musiciens intellos ou presque, maniaques du son et produisant chacun à leur manière des musiques sombres et agressives. Ils se sont réunis pour produire la bande son d’un spectacle monté par la meuf de Stephen, Gisèle Vienne. Et apparemment ça leur a bien plu puisqu’ils en sont au cinquième disque au moins. Si je devais situer celui là par rapport aux autres, je dirais qu’il est largement moins sombre/agressif. Certains morceaux sont même carrément agréables, relaxants. WOW.
Par exemple TONY, troisième morceau. Un drone minimaliste pas si minimaliste que ça. Grosse basse d’un côté, sifflement aigu ressemblant vaguement à un feedback de guitare de l’autre, le yin et le yang, la double hélice qui monte vers le ciel en s’enroulant. C’est déjà très beau, mais ce qui me tue carrément, c’est tout le travail qu’il y a autour et à l’intérieur. Des choses se passent, et passent. S’en vont, reviennent. Cloches marines, effets de frottement, oscillations, ondulations, comment décrire tout ça, je sais pas, en tout cas ça fait du bien. Peut-être que ça manque de subtilité par moment, qu’ils auraient gagné à rester concentrés sur l’idée de départ. Oui ce morceau se disperse un peu trop mais on peut toujours s’accrocher à ce cable monstrueux qui monte vers le ciel comme un ascenseur spatial. La confusion est de courte durée, le principal c’est de se sentir flotter, et monter encore et encore et encore. Toujours ces petits bruits, petits craquements discrets autour, c’est de l’ordre du subliminal, non pas qu’ils soient enfouis très profond dans le mix, c’est juste qu’on en a rien à foutre. Et puis, au bout de douze minutes, la musique se simplifie, reste la basse et sa cour de petits bruits gadgets, on a l’impression pendant quelques secondes d’écouter Earth 2. La fin est très bien dommage que ça ne dure pas plus longtemps.
Puis Phill 2. C’est la suite de Phill 1. Hein quelle perspicacité tavu. Non en fait j’en sais rien. Je sais pas qui est Phill. Le personnage d’une pièce de théâtre de Gisèle ou un truc du genre? C’est la limite quand on ne s’informe pas avant d’écouter un disque. Phill 1 c’était le premier morceau. Celui là n’a pas grand chose à voir. On dirait qu’il a été enregistré en live. Pour l’instant il s’agit de cordes frottées. Quelque chose de très grave, une contrebasse, joue en boucle une petite succession de notes en glissando. Des violons s’amusent par dessus. Il y a un côté vaguement asiatique, avec tous ces doigts qui glissent sur les cordes. C’est brumeux, on a l’impression d’écouter une vieille cassette. Évidemment il y a aussi des trucs électroniques, un bourdonnement qui n’a pas l’air naturel, mais c’est un peu le bazard, pas évident de savoir qui fait quoi. Oh, maintenant il y a des cuivres. Ça me rappelle un morceau du dernier album de Sunn O))). Qui commence à dater un peu, maintenant. La même impression d’assister à un lever de soleil avec ce bourdonnement central, les cuivres disposés de chaque côté, dirigés vers le haut, sauf que cette fois, c’est un lever de soleil dans la brume, et d’ailleurs ça donne pas trop envie de sourire, enfin si, un peu, mais pas trop. C’est assez pessimiste, l’impression d’être dans la purée, impuissant, incapable de bouger. Comme dans un mauvais rêve, ces rêves où le tueur arrive tandis qu’on essaie de détacher sa ceinture, mais on y arrive pas, et plus on panique, moins on a de prise sur les événements. La sensation d’impuissance, c’est horrible. Bref. C’est une musique de cauchemar. On retrouve le KTL qu’on connait, un peu. Même si cet orchestre, c’est nouveau. La musique est de plus en plus gonflée, ça monte, ça monte, en un crescendo lent qui défonce tout sur son passage, comme les méchants dans les cauchemars qui marchent lentement mais finissent toujours par nous rattraper, aussi vite que nous propulsent nos jambes, notre bagnole ou autre. C’est dommage que le son ne soit pas de meilleure qualité. J’aurais aimé voir ça en live. Mon dieu, j’aurais trop aimé. Enfin de la musique pour orchestre aussi fun que ce qui se joue dans les salles de concert de rock. Treize minutes, on est presque à la fin. les instruments se taisent, les machins électroniques continuent sur leur lancée, quelques instants de flottement d’une blancheur extraordinaire, le brouillard devient du lait, du coton, la lumière devient palpable pendant quelques secondes. Et… Stop.
La suite est assez dingue. Dernier morceau, le plus long. Le bruit d’une respiration, du vent digital passé dans la réverb, filtré, maltraité. Je sais pas si c’est un homme ou une femme. La voix est modifiée on dirait. “S’il vous plait attendez un minute j’ai besoin de votre aide”… “C’est toujours dans mon bras que je sais que ça va commencer, comme un infarctus”… La personne est essoufflée, a l’air terrifiée mais trop fatiguée pour le montrer vraiment. Puis elle gémit, gémissement qui se transforme en râle de moins en moins humain. Un narrateur prend le relais, une sorte de Gollum en moins mignon. Une voix de monstre. Il parle d’un garçon dont les yeux on l’air d’avoir été arrachés au visage d’un bébé. C’est pas un garçon, c’est une poupée. Une poupée qui se croit vivante. Histoire de marionnette. Histoire d’une marionnette qui contrôle son maître. J’ai l’impression que la voix de monstre, c’est la marionnette. Bref. Je vais pas raconter toute l’histoire. Je crois que c’est un spectacle de Gisèle Vienne, qui d’ailleurs est passé près de chez moi, mais je l’ai raté, honte à moi. Histoire de mort, histoire étrange, râles dérangeants, monstre issu de l’accouplement d’un chasseur avec un cerf, vie artificielle, emprisonnement, mort, mort, mort… L’acteur fait un super travail et la bande son est très cool, faite de vent glacial, de tintements métalliques, d’objets frappés, explosions sourdes, machines industrielles. C’est un truc génial ça. Je me suis toujours demandé pourquoi il n’y avait pas plus de disques comme ça, comme les fictions radiophoniques, avec des acteurs, qui racontent une histoire, mais avec un travail sur le son qui ne se contente pas de la musique de fond et des bruitages ; un disque où la déclamation des acteurs est traitée comme une source sonore parmi d’autres. Un film surréaliste juste pour les oreilles. Voix déformées, réverbérations non réalistes, bref, voilà quoi. Au croisement de la musique et de l’art dramatique, une sorte d’opéra du XXIe siècle, qui aurait abandonné le chant et la mythologie cucul. C’est une manière de redonner au texte une place centrale. Le problème c’est que ça s’intègre mal au disque, ça en fait une simple compilation. Je pense pas avoir envie de le réécouter en entier. Un morceau, à l’occasion, oui. Bref. Après la conclusion assez gore de cette petite pièce, la musique continue, musique nocturne, musique de cimetière, musique brumeuse, peuplée de grillons, de grenouilles, de chauve souris, et de monstres tapis dans l’ombre, trahissant leur présence par le reflet de la pleine lune dans leurs yeux. J’aurais préféré, sur ce disque, avoir la bande son sans le texte. Histoire de pouvoir me le passer en entier, à l’occasion. Pas moyen, là. Ca fait trop peur! Bon voilà. C’est tout à plus.
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Sur le site de Mego, on peut lire ça :
Produced by KTL
Phill 2 orchestrated by Jóhann Jóhannsson.
Performed by City of Prague Philharmonic, conducted by Richard Hein
Artwork by Mark Fell
Photo by Estelle Hanania
Stephen O’Malley: Guitar, Bass, Modular Synthesiser, Computer, Contact Mics
Peter Rehberg: Modular Synthesiser, Computer
Recorded September 2010-October 2011 at
EMS, Stockholm
Tinitus, Bergen
Ina GRM, Studio 116, Paris
Smecky, Prague
Centre d’art passerelle, Brest
Twisted, Wien
Mixed at Twisted, Wien, May 2011 – January 2012
Well, that took longer than expected. Finally the 5th KTL studio album is ready for release.
Whereas their previous album IV was recorded and made in a relative short period in a more traditional rock environment, V turns full circle, takes its time and tackles the complex working processes of the european avant garde.
Rooting themselves in such legendary electronic music studios such as EMS in Stockholm and GRM in Paris, O’Malley and Rehberg have delivered a rich set of sound experiments far removed from harsh metal/noise blizzards of their early albums.
They took a step further by inviting icelandic composer Jóhann Jóhannsson to orchestrate Phill 2, resulting in a towering storm monumental classicism. Finally, ‘Last Spring: A Prequel’ turns the whole album on its head with abstract alien textures of the Gisèle Vienne installation of the same name., with text by Dennis Cooper spoken with devout intensity by long term Vienne collaborator Jonathan Capdevielle.
With full colour artwork by Mark Fell, V is KTL’s most sophisticated work to date.