Fennesz – Bécs

J’écoute le nouvel album de Fennesz depuis plusieurs semaines et je ne m’en lasse pas. Il est très beau et on n’en fait pas le tour en deux écoutes. Il est sorti chez mego, c’est le premier depuis Endless Summer, et on en retrouve un peu l’esprit, le même sentiment de plénitude. On reconnait de suite le style de Fennesz, mais cette fois les moyens mis en oeuvre sont ceux d’un blockbuster hollywoodien, il y a même de la batterie (jouée par le batteur de The Necks, qui habite actuellement à Berlin). 

Ça commence avec de la batterie et un ring modulator. free jazz. une guitare sèche, une mélodie de synthé délavée filtrée, on est au club med dans les années 70, fin d’après midi, on rentre d’un cours de plongée, pantalon bien ajusté, sourire bright, le regard posé et gentil, de beaux enfants qui marchent derrière, les cheveux blonds, au ralenti, un slogan de publicité en surimpression. Il n’y a plus que dans la publicité que l’on donne à voir ou à entendre une telle plénitude sereine. Imaginez Air qui ferait de la musique expérimentale. Je parle du Air de Moon Safari, n’est-ce pas. Imaginez bien. La fin du morceau est hyper cool, tout est réduit à une simple boucle qui tourne qui tourne, à peine modulée par des effets, cristalline, éclatante, et complètement hypnotique.

Direct ça enchaine avec une basse saturée, distortion numérique, mego style. Le morceau est bien plus minimaliste que le précédent, il y a une nappe de synthé la guitare saturée, une grosse basse. Mélodie, et travail sur les saturations. C’est du bruit triste, et beau, et hyper puissant. Ne jamais perdre de vue que malgré tout ce qu’on peut en dire, c’est un album qui peut être très rugueux.

Morceau suivant, marais de guitares plongés dans la brume, gros coup de guitare qui résonne à des kilomètres à la ronde, qui hurle un message en langage de guitare “ tout va bien les loulous maman va venir vous chercher”. C’est une berceuse noise pour adultes. La jazzmaster sonne hyper bien, un peu saturée et plongée dans la réverb, comme le flambeau d’un spéléologue tombant sur une caverne géante noyée dans un brouillard chaud. Une grotte inconnue recouverte d’une végétation préhistorique, exotique et super belle. C’est un monde perdu, le paradis sur terre où toutes les espèces sont gentilles, où toute la nourriture nécessaire est à portée de main, où on s’en fout de vivre sans vêtements, et où les journées consistent à jouer, à fabriquer de belles choses, et à discuter avec les gens. Malheureusement la suite du morceau détruit un peu le décor à cause d’une grosse saturation qui vient tout brouiller, histoire de rappeler que le paradis n’est plus qu’un souvenir, un rêve aux contours flous et changeants. Rah. Très très lent fondu ->silence

Puis le nouveau générique de Thalassa. Ne rigolez pas, c’est vrai que c’est totalement sous marin comme son. Je vois des bancs de poissons multicolores et des dauphins. C’est un royaume sous marin, des animaux qui vivent en société, se parlent, vaquent à leurs occupations. La petite sirène. J’ai l’impression d’entendre un orgue sous marin, comme si c’était l’heure de la messe des poissons, le vendredi. L’organiste est un poulpe qui utilise ses 8 tentacules pour jouer des mélodies irréelles. Le prêtre est un poisson volant, qui a la chance de connaître la surface aussi bien que le monde immergé. Il sait ce qu’il y a en haut. Il parle des dieux qui parfois tendent leurs filets pour les faire monter au paradis des poissons, où l’eau est pure comme le coeur d’un enfant poisson.

Ensuite il y a ce morceau qui s’appelle Becs. Saturation max plus plus, et on parvient quand même à distinguer un piano, une basse, un autre synthé, qui joue une bo de film pour midinettes japonais, avec des écolières en uniforme qui se mettent à rougir parce que le prof de maths à lunette a vu malgré lui ce qu’il y avait sous leur jupe. Il y a deux morceaux en un voire trois. La mélodie pépère, l’étage de saturation, et aussi ce qui résulte des deux. La distortion est aussi puissante qu’un moteur de fusée au décollage. On se sent soufflé.

Ensuite il y a un truc avec du souffle et plein de percussions métalliques, on se croirait dans un temple tibétain ou un restaurant de l’Asie médiévale. Une basse se fait progressivement une place et c’est tout le paysage qui change, plus étendu, plus aéré, plus insecte que métallique. Mélodie fantôme, qui semble harmonieuse, mais qu’il est impossible de saisir. Beaucoup de souffle, toujours. Les cloches reviennent un peu. C’est hyper beau. Fuck. J’aime bien le mélange des voiles synthétiques qui ondulent lentement et des petits bruits d’insectes électroniques. On se croirait dans l’espace, dans la queue d’une comète qui abriterait plein de petites formes de vie. La fin du morceau met en avant tout ce qui se passe en surface, comme si on avait augmenté le grossissement du téléscope, et on voit cette nature extraterrestre qui grouille de vie. Chouette. Suggérer des mondes hyper complexes et vivants, avec de la musique. C’est une belle chose.

On finit avec un morceau de guitare sèche, un peu de reverb, juste un synthé qui vient souligner la mélodie. C’est une chanson triste sans paroles, entre neil young et my bloody valentine. Un souffle saturé se rajoute, deuxième couplet. La saturation m’évoque souvent un certain état de délabrement, et par extension, le temps qui passe. C’est encore le cas ici. La nostalgie, un peu, comme ce moment club med des 70’s au début du disque.